Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/161

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vrait-on mettre sous le nez des bousilleurs en poésie et en toute autre branche élevée, chaque jour, sans pitié, le

 mediocribus esse poetis
Non homines, non Dî, non concessere columnæ[1].

Ne sont-ils pas la mauvaise herbe qui ne laisse pas pousser le froment, pour tout envahir elle-même ? C’est pourquoi les choses se passent comme les décrit si bien et avec tant d’originalité Feuchtersleben[2], mort si prématurément :

Rien, s’écrient-ils avec audace,
Rien n’est en train, rien n’est fait !
— Et les grandes choses, pendant ce temps,
Mûrissent silencieusement.

Elles apparaissent : personne ne les voit,
Personne ne les discerne au milieu du bruit.
Avec une tristesse discrète
Elles passent silencieusement.

Ce manque déplorable de jugement ne se montre pas moins dans les sciences, comme le prouve la vie dure des théories fausses et déjà réfutées. Celles-ci une fois en crédit, elles défient la vérité pendant des demi-siècles, voire des siècles entiers, comme une jetée de pierres défie les vagues de la mer. Au bout de cent ans, Copernic n’avait pas encore écarté Ptolémée. Bacon de Veru-

  1. « Ni les hommes, ni les dieux, ni les colonnes
    N’ont permis aux poètes d’être médiocres. »

  2. Le baron Ernest Feuchtersleben, né à Vienne en 1806, mort en 1849, à la fois poète, philosophe et médecin. Son ouvrage le plus remarquable, et qui est devenu populaire, est son Hygiène de l’âme, traité de l’influence de l’âme sur le corps. (Le trad.)