Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/178

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moins longtemps, selon qu’elles sont bien gonflées et solidement cousues ; mais peu à peu l’air sort pourtant, et le corps s’enfonce. C’est là le destin inévitable des œuvres qui n’ont pas en elles la source de leur gloire. Les louanges fausses se taisent, les accords cessent, le connaisseur ne trouve pas la gloire justifiée, celle-ci s’évanouit, et un mépris d’autant plus grand lui succède. Au contraire, les œuvres de bon aloi, qui ont en elles la source de leur gloire et sont en état de provoquer toujours l’admiration, ressemblent aux corps plus légers spécifiquement, qui se maintiennent toujours en haut par leurs propres forces, et descendent ainsi le torrent du temps.

L’histoire littéraire tout entière, ancienne et moderne, n’offre pas un seul exemple de fausse gloire comparable à celui de la philosophie de Hegel. Jamais et nulle part ce qui est tout à fait mauvais, manifestement faux, absurde, même insensé, et, de plus, absolument répugnant en fait de style, n’a été, à l’instar de cette pseudo-philosophie dépourvue de toute valeur, vanté avec une telle impudence révoltante, avec un tel front d’airain, comme la plus haute sagesse et la chose la plus sublime que le monde ait vue. Que dans ce cas-ci le soleil brillât d’en haut, je n’ai pas besoin de le dire. Mais, prenons-en acte, ce succès stupéfiant n’a plus d’écho auprès du public allemand ; et c’est en cela que consiste la honte. Pendant plus d’un quart de siècle, cette gloire impudemment mensongère a passé pour vraie, et la bestia trionfante[1]

  1. Le Spaccio de la Bestia trionfante, l’expulsion de la bête triomphante, c’est le titre du fameux et singulier livre, assez incompréhensible d’ailleurs, de Giordano Bruno, philosophe que Schopenhauer lisait beaucoup. (Le trad.)