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Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/184

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dasa sont en conséquence des incarnations de Brahma[1].

On peut dire, dans ce sens, que chaque œuvre immortelle met son siècle à l’épreuve : sera-t-il en état de la reconnaître ? Le plus souvent, ce siècle ne subit pas mieux l’épreuve que les voisins de Philémon et Baucis, qui montrèrent la porte aux dieux non reconnus. Ce ne sont donc pas les grands esprits apparus dans un siècle qui donnent la mesure exacte de la valeur intellectuelle de celui-ci. Leurs facultés sont l’œuvre de la nature, et le développement de celles-ci a dépendu de circonstances fortuites. Ce qui donne cette mesure, c’est l’accueil fait à leurs œuvres par leurs contemporains. Ont-elles été l’objet d’une approbation rapide et sympathique, ou tardive et réfractaire, ou laissée au soin de la postérité ? C’est ce dernier cas qui sera le vrai, quand il s’agit d’œuvres d’ordre élevé. La chance rare dont nous avons parlé fera d’autant plus défaut, que le genre cultivé par un grand esprit est accessible à moins de monde. En ceci réside l’incomparable avantage qu’ont les poètes par rapport à leur gloire : ils sont accessibles à presque tous. Si Walter Scott n’avait pu être lu et jugé que par une centaine de personnes, on lui aurait peut-être préféré un vulgaire barbouilleur ; et quand plus tard la chose se serait arrangée, il aurait eu aussi l’honneur d’ « avoir été au-dessus de son siècle ». — Mais si, à l’incapacité des cent têtes qui sont appelées à juger une œuvre au nom d’un siècle, s’associent encore chez elles l’envie, l’improbité et des intérêts personnels, cette œuvre est menacée du même triste sort que l’homme qui plaide devant un tribunal dont tous les membres sont soudoyés.

  1. Polier, Mythologie des Hindous, t. I, pp. 171-190.