Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/199

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à un penseur personnel ce qu’est un historien à un témoin oculaire : celui-ci parle d’après sa conception directe de la chose. Voilà pourquoi tous les penseurs personnels s’accordent au fond. Leur divergence ne provient que de celle du point de vue ; quand celui-ci ne modifie rien, ils disent tous la même chose. Ils n’énoncent que ce qu’ils ont perçu objectivement. J’ai souvent retrouvé dans les écrits de génies anciens, à mon étonnement joyeux, des passages de mes œuvres que, à cause de leur caractère paradoxal, je ne livrais au public qu’avec hésitation.

Le philosophe qui puise ses idées dans les livres enregistre ce que l’un a dit, l’autre pensé, ce qu’un autre a objecté, etc. Il compare tout cela, le pèse, le critique, et cherche à atteindre la vérité des choses : ce en quoi il ressemble absolument à l’historien critique. Il examinera, par exemple, si, à une époque, pour un moment, Leibnitz a été spinoziste, et ainsi de suite. Les curieux trouveront des échantillons probants de ce procédé dans l’Élucidation analytique de la morale et du droit naturel d’Herbart, ainsi que dans ses Lettres sur la liberté. — On pourrait s’étonner de la peine considérable que se donne le philosophe de cette catégorie ; il semble en effet que, s’il voulait seulement examiner la chose en elle-même, un peu de réflexion personnelle l’amènerait bientôt au but. Mais il y a ici une petite difficulté : c’est que cela ne dépend pas de notre volonté. On peut toujours s’asseoir là et lire, mais non penser. Il en est des pensées comme des hommes : il n’est pas toujours possible de les convoquer à son gré, il faut attendre qu’ils viennent. La réflexion sur un sujet doit se présenter d’elle-même, par une rencontre heureuse