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Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/61

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mais au diminutif, à l’humilitif même, qu’ils devraient parler. Ainsi, par exemple : « Ma chétive petite personne, Ma lâche astuce, Mon incompétence déguisée, Ma vile gueuserie », etc. C’est de cette façon qu’il convient de parler à des filous déguisés, à ces serpents qui sifflent hors du trou sombre d’une « feuille de chou littéraire », et à l’industrie desquels il faut enfin imposer un terme. L’anonymat est dans la littérature ce qu’est la filouterie matérielle dans la société civile. « Nomme-toi, coquin, ou tais-toi ! », tel doit être le mot d’ordre. Jusque-là on peut faire suivre immédiatement les critiques sans signature de cette mention : Filou ! Cette industrie peut rapporter de l’argent, mais ne rapporte point d’honneur. Dans ses attaques, en effet, M. l’anonyme est sans plus M. le coquin, et il y a cent à parier contre un que celui qui ne veut pas se nommer prend à tâche de tromper le public. Il n’y a que les livres anonymes qu’on soit en droit de critiquer anonymement. La suppression de l’anonymat supprimerait les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des coquineries littéraires. En attendant que cette industrie soit proscrite, on devrait, quand l’occasion s’en présente, s’adresser à l’homme qui tient la boutique (le président et entrepreneur de l’établissement de critique anonyme), le rendre directement responsable des mauvaises actions de ses mercenaires, et cela sur un ton en rapport avec son métier. Il n’est pas d’impudent mensonge qu’un critique anonyme ne puisse se permettre : n’est-il pas irresponsable ! — Pour ma part, j’aimerais tout autant être à la tête d’un brelan ou d’une maison de tolérance, que d’un pareil établissement anonyme de mensonges, de fourberies et de calomnies.