Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/79

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marque de santé, ni l’appétit est une maladie », l’éditeur remarque aussitôt qu’il faut : n’est. Chez nous, chacun écrit comme il veut ! Vauvenargues dit-il : « La difficulté est à les connaître », l’éditeur remarque en note : « Il faut, je crois, de les connaître ». J’ai trouvé, dans un journal anglais, un orateur fortement blâmé pour avoir dit : « My talented friend », qui ne serait pas anglais ; et cependant on a : spirited, de spirit. Telle est la sévérité des autres nations à l’égard de leur langue[1]. Chaque barbouilleur allemand, au contraire, fabrique sans scrupule un mot impossible, et, au lieu de passer par les verges des journaux, il est applaudi et trouve des imitateurs. Nul écrivain, pas même le plus vil gâcheur d’encre, n’hésite à employer un verbe dans un sens qu’il n’a jamais eu. Pourvu que le lecteur parvienne à deviner sa pensée, cela passe pour une idée originale, et on l’imite. Sans le moindre égard pour la grammaire, l’usage, le sens et l’intelligence humaine, chaque fou écrit ce qui lui passe par la tête. Plus c’est insensé, et meilleur c’est ! En somme, l’Allemand hait en toutes choses l’ordre, la règle et la loi ; il aime que l’arbitraire individuel et son propre caprice soient mélangés d’une dose d’équité fade, en rapport avec son jugement subtil. Aussi, ce que ne manque jamais de faire chaque Anglais des trois royaumes unis et des colonies : prendre toujours sa droite dans les rues, sur les routes et dans les sentiers, je doute que les Allemands arrivent à le faire ; et cependant le grand avantage de

  1. Cette sévérité des Anglais, des Français, des Italiens, n’est nullement du pédantisme, mais est simplement une précaution pour que chaque gâcheur d’encre ne porte pas une main sacrilège sur le trésor national de la langue, comme cela arrive en Allemagne.