Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/81

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C’est surtout sur les préfixes et les affixes que se porte la rage de ces châtreurs de mots. Le but qu’ils visent, par cette amputation, c’est évidemment la brièveté, et, par elle, le relief et l’énergie plus grands de l’expression ; car l’économie de papier est vraiment par trop mince. Ils voudraient donc contracter le plus possible ce qu’il s’agit de dire. Mais ici il y a toute autre chose en jeu que la rognure de mots. Il faut penser d’une manière serrée et concise, et cela n’est pas donné à chacun. La brièveté frappante, l’énergie et le relief de l’expression ne sont possibles que si la langue a un mot pour chaque idée, et possède pour chaque modification, même pour chaque nuance de cette idée, une modification du mot répondant exactement à celle-ci. Cette modification seule, exactement employée, permettra à chaque période, aussitôt émise, d’éveiller chez l’auditeur exactement l’idée qu’a en vue celui qui parle, sans le laisser un seul instant en doute sur le sens de la chose. En conséquence, chaque racine de la langue doit être un modificabile multimodis modificationibus, pour pouvoir se prêter, comme un vêtement mouillé, à toutes les nuances de l’idée, et par là aux finesses de la pensée.

Or, c’est précisément par les préfixes et les affixes qu’on atteindra surtout ce but ; ils sont les modulations de chaque idée fondamentale sur le clavier de la langue. Voilà pourquoi les Grecs et les Romains ont aussi modulé et nuancé par des préfixes la signification de presque tous les verbes et de beaucoup de substantifs. Ainsi, le verbe latin ponere se modifie en imponere, deponere, disponere, exponere, componere, adponere, subponere, superponere, reponere, præponere, propo-