Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/83

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au style son énergie et à la pensée sa clarté. Comme on ne peut, par cette castration, diminuer le nombre des mots sans élargir en même temps la signification des autres, et faire ceci sans enlever à cette signification son sens exact, on travaille au profit de l’équivoque et de l’obscurité, ce qui rend impossibles toute précision et toute clarté de l’expression, à plus forte raison l’énergie et le relief de celle-ci. Combien il importe peu, pourtant, qu’un mot ait deux syllabes de plus, si ces deux syllabes déterminent mieux l’idée ! Croirait-on qu’il y a des cerveaux à l’envers qui écrivent indifférence, là où ils pensent indifférentisme, pour gagner une syllabe !

Ces préfixes, qui font passer un mot-racine à travers toutes les modifications et nuances de son application, sont donc un moyen essentiel de toute clarté et de toute netteté de l’expression, et, par là, de brièveté, d’énergie et de relief du style. Il en est de même des affixes, comme des différentes syllabes finales des substantifs dérivant des verbes. Ainsi les deux modes de modulation des mots et des idées ont été répartis dans la langue et appliqués aux mots par nos ancêtres avec beaucoup de sens et de sagesse, et le tact qu’il fallait. Mais nos ancêtres ont eu pour successeurs, de nos jours, une génération de barbouilleurs ignorants et incapables, qui, réunissant leurs efforts, prennent à tâche, par la dilapidation des mots, de détruire cette antique œuvre d’art. C’est que ces pachydermes n’ont naturellement aucun sens pour des moyens artistiques destinés à servir d’expression à des pensées finement nuancées ; mais ils s’entendent à compter des lettres. Si donc un de ces pachydermes a le choix entre deux mots, dont l’un, au moyen de son préfixe ou affixe,