Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/93

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seule boulette, dans cette langue, aurait été une honte. La plupart même s’efforçaient d’y écrire élégamment, et beaucoup y parvenaient. Maintenant que, affranchis de cette entrave, ils ont conquis la grande commodité de pouvoir écrire dans leur langue maternelle, on pouvait espérer qu’ils s’appliqueraient à le faire du moins avec toute la correction et l’élégance possibles. En France, en Angleterre, en Italie, c’est encore le cas. Mais en Allemagne, c’est le contraire. Ici ils barbouillent à la hâte, comme des laquais à gages, ce qu’ils ont à dire, dans les expressions qui se présentent à leur bouche mal lavée, sans style, voire sans grammaire ni logique. Car ils mettent partout l’imparfait au lieu du parfait et du plus-que-parfait, l’ablatif au lieu du génitif, n’emploient pas d’autre préposition que « pour », qui par conséquent se trouve fausse cinq fois sur six. Bref, ils commettent toutes les âneries de style dont j’ai signalé quelques-unes plus haut.

Dans la corruption de la langue, je compte aussi l’emploi abusif toujours plus général du mot Frauen au lieu de Weiber, qui appauvrit, lui aussi, celle-là : car Frau signifie uxor, et Weib : mulier[1]. Les jeunes filles ne sont pas des Frauen, mais veulent le devenir. Peu m’importe qu’au xiiie siècle cette confusion ait déjà existé, ou même que les dénominations n’aient été séparées que plus tard. Les Weiber ne veulent plus s’appeler Weiber, pour la même raison que les Juifs

  1. La langue allemande a, comme la langue latine, l’avantage de posséder deux mots appropriés pour genus et species, pour mulier et uxor.