Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/34

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ceux-là, pour s’assurer d’autant mieux contre celles-ci ; le sustine et abstine devient sa maxime. Et comme il sait en outre combien sont inépuisables les possibilités du malheur et innombrables les voies du danger, il prend ses mesures contre eux, afin de s’environner d’une triple muraille protectrice. Qui peut dire où les précautions contre les coups de la fortune commencent à devenir excessives ? Celui-là seul qui saurait où finit la malignité de celle-ci. Et même si les précautions étaient excessives, cette erreur lui nuirait tout au plus à lui-même, et non aux autres. N’aura-t-il jamais besoin des trésors qu’il entasse : dans ce cas, ils profiteront un jour à d’autres, que la nature a créés moins prévoyants. Que jusque-là il soustraie l’argent à la circulation, il n’y a pas de mal, car l’argent n’est pas un article de consommation ; il représente uniquement les biens réels, utilisables ; il n’est pas lui-même un bien. Les ducats ne sont au fond que des jetons à compter ; ce qui a de la valeur, ce n’est pas eux, mais ce qu’ils représentent ; et cela, l’avare ne peut le retirer de la circulation. En outre, sa mainmise sur l’argent augmente juste d’autant la valeur de ce qui reste en circulation. Si, comme on l’affirme, maint avare finit par aimer l’argent directement et pour lui-même, maint prodigue, cela n’est pas moins certain, aime également la dépense et le gaspillage directement pour eux-mêmes. L’amitié ou même les rapports de parenté avec l’avare sont non seulement sans danger, mais désirables, car ils peuvent produire de grands avantages. Quoi qu’il en soit, ses proches récolteront après sa mort les fruits de son abstinence ; et de son vivant aussi, dans les nécessités extrêmes, on peut