Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/49

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destie, cette rusée vertu inventée au profit de la plate banalité, qui néanmoins, par la nécessité qui la pousse à épargner la médiocrité, la met précisément en lumière. Il ne peut assurément y avoir rien de plus flatteur pour notre amour-propre et notre orgueil que la vue de l’envie au guet dans sa cachette et préparant ses machinations ; il ne faut toutefois jamais oublier qu’elle est constamment accompagnée par la haine, et l’on doit se garder de laisser l’envieux devenir un faux ami. La découverte de l’envie est donc d’importance pour notre sécurité. On doit en conséquence l’étudier, pour éventer ses pièges, car on la trouve partout, elle va toujours incognito, ou, comme le crapaud venimeux, épie dans les trous sombres. Elle ne mérite ni égards ni pitié, et il faut lui appliquer cette règle :

Tu n’apaiseras jamais l’envie ;
Tu peux donc t’en moquer à ton aise.
Ton bonheur et ta gloire sont pour elle une souffrance ;
Tu peux ainsi te repaître de son tourment[1].

Si, comme nous l’avons fait ici, on envisage la méchanceté humaine en inclinant à s’en effrayer, on doit ensuite jeter les yeux sur la misère de l’existence humaine, puis les reporter de nouveau sur la méchanceté en question, si cette misère vous effraye. Alors on trouvera qu’elles se font l’une à l’autre équilibre, et l’on deviendra conscient de l’éternelle justice, en remarquant que le monde lui-même est son propre


  1. Den Neid wirst nimmer du versöhnen:
    So magst du ihn getrost verhöhnen.
    Dein Glück, dein Ruhm ist ihm ein Leiden:
    Magst drum an seiner Qual dich weiden.