Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/93

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Tous les princes ont évidemment été à l’origine des chefs victorieux, et pendant longtemps c’est à ce titre seul qu’ils ont régné. Après l’établissement des armées permanentes, ils considérèrent le peuple comme destiné à les nourrir, eux et leurs soldats, c’est-à-dire comme un troupeau sur lequel on veille, afin qu’il vous donne laine, lait et viande. Ceci résulte, ainsi que je l’expliquerai plus loin, de ce qu’en vertu de la nature, c’est-à-dire originellement, ce n’est pas le droit, mais la violence, qui domine sur la terre ; celle-ci a sur celui-là l’avantage primi occupantis. Aussi ne se laisse-t-elle pas abolir et s’obstine-t-elle à ne pas disparaître complètement ; toujours elle revendique sa place. Ce qu’on peut simplement désirer et réclamer, c’est qu’elle soit du côté du droit et associée avec lui. En conséquence, le prince dit à ses sujets : « Je règne sur vous par la force. Ma force en exclut donc toute autre. Je n’en souffrirai en effet aucune autre auprès de la mienne, ni une force extérieure, ni, à l’intérieur, celle de l’un contre l’autre. Ainsi vous voilà protégés ». Cet arrangement s’étant produit, la royauté s’est, avec les progrès du temps, développée tout autrement, et a rejeté l’idée antérieure dans l’arrière-fond, où on la voit encore de temps en temps flotter à l’état de spectre. Cette idée a été remplacée par celle du roi père de son peuple, et le roi est devenu le pilier ferme et inébranlable sur lequel seul reposent l’ordre légal tout entier, par conséquent les droits de tous, qui n’existent que de cette façon[1]. Mais un roi ne peut remplir ce rôle

  1. Stobée dit, Florilège, t. II, p. 201, édit. citée : Περσαις νομος ην, οποτε βασιλευς αποθανοι, ανομιαν ειναι πεντε ημερων, ιν αισθοιντο οσου αξιος εστιν ο βασιλευς και ο νομος. (C’était