Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/216

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influent considérablement sur notre disposition, et celle-ci à son tour sur nos pensées. De là vient que notre manière d’envisager les choses, de même que notre aptitude à produire quelque œuvre, est à tel point subordonnée au temps et même au lieu. Gœthe dit :

Nehmt die gute Stimmung wahr,
Denn sie kommt so selten.

(Saisissez la bonne disposition, car elle arrive si rarement.)

Ce n’est pas seulement pour des conceptions objectives et pour des pensées originales qu’il nous faut attendre si et quand il leur plaît de Venir, mais même la méditation approfondie d’une affaire personnelle ne réussit jamais à une heure fixée d’avance et au moment où nous voulons nous y livrer ; elle aussi choisit elle-même son temps, et ce n’est qu’alors que le fil convenable d’idées se développe spontanément, et que nous pouvons le suivre avec une entière efficacité.

Pour mieux refréner la fantaisie, ainsi que nous le recommandons, il ne faut pas lui permettre d’évoquer et de colorer vivement des torts, des dommages, des pertes, des offenses, des humiliations, des vexations, etc., subis dans le passé, car par là nous agitons de nouveau l’indignation, la colère, et tant d’autres odieuses passions, dès longtemps assoupies, qui reviennent salir notre âme. Suivant une belle comparaison du néo-platonicien Proclus, ainsi qu’on rencontre dans chaque ville, à côté des nobles et des gens distingués, la populace de toute sorte (οχλος), ainsi dans tout homme, même le plus noble et le plus