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KANT ET L’APRIORITÉ DU CONCEPT DE CAUSALITÉ

ordre déterminé quant au temps. Mais il est bien petit le nombre de ces représentations dont nous pouvons connaître la place que leur assigne la loi de la causalité dans la série des causes et effets ; et cependant nous savons toujours distinguer les choses objectives des subjectives, les objets réels des produits de la fantaisie. Pendant le sommeil, nous ne pouvons pas faire cette distinction, parce que le cerveau est isolé du système nerveux périphérique et par là des impressions externes ; aussi, dans nos songes, prenons-nous des fantômes pour des objets réels : nous ne reconnaissons l’erreur qu’à notre réveil, c’est-à-dire quand la sensibilité nerveuse et par elle le monde extérieur rentrent dans la conscience ; et pourtant, même pendant le rêve, aussi longtemps qu’il continue, la loi de la causalité maintient son autorité ; seulement on lui fournit souvent pour l’exercer une étoffe impossible. On serait presque tenté de croire que Kant, en écrivant le passage dont nous venons de parler, était sous l’influence de Leibnitz, auquel il est tellement contraire dans tout le reste de sa doctrine philosophique ; on le croirait, disons-nous, principalement quand on se rappelle que Leibnitz, dans ses Nouveaux essais sur l’entendement (liv. IV, ch. 11, § 14), a énoncé des vues toutes pareilles ; il dit, par exemple : « La vérité des choses sensibles ne consiste que dans la liaison des phénomènes, qui doit avoir sa raison, et c’est ce qui les distingue des songes. » — « Le vrai Critérion, en matière des objets des sens, est la liaison des phénomènes, qui garantit les vérités de fait, à l’égard des choses sensibles hors de nous. »