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LA SECONDE CLASSE D’OBJETS POUR LE SUJET

sous un autre, jusqu’au moment où, arrivées à être claires, elles se fixent dans des notions et trouvent leur expression. Il y en a même qui ne la rencontrent jamais, et, hélas ! ce sont les meilleures : « quæ voce meliora sunt », comme dit Apulée.

Cependant Aristote est allé trop loin quand il prétend que la pensée pour s’exercer ne saurait se passer des images de la fantaisie. Il dit à ce sujet : « Οὐδέποτε νοεῖ ἄνευ φαντάσματος ἡ ψυχή » (Anima sine phantasmate nunquam intelligit) (De anima, III, c. 3, 7, 8) ; et encore : « ʹΟταν θεωρῆ ἀνάγϰη ἅμα φαντάσμα τι θεωρεῖν » (Qui contemplatur, necesse est, una cum phantasmate contempletur) (ibid.) ; ailleurs (De Memoria, c. 1) : « Νοαεῖν οὐϰ ἐστι ἄνευ φαντάσματος » (Fieri non potest, ut sine phantasmate quidquam intelligatur) ; — cette opinion avait cependant frappé vivement les penseurs du xve et du xvie siècle, dont plusieurs l’ont répétée à différentes reprises et en l’accentuant encore ; ainsi, par exemple, Pic de La Mirandole dit (De imaginatione, c. 5) : « Necesse est, eum, qui ratiocinatur et intelligit, phantasmata, speculari ; » Melanchton (De anima, p. 130) : « Oportet intelligentem, phantasmata speculari ; » et Jordan Bruno (De coinpositione imaginum, p. 10) : « Dicit Aristoteles : oportet, scire valentem, phantasmata speculari. » Pomponatius (De immortalitate, p. 54 et 70) se prononce également dans ce sens. — Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que toute connaissance réelle et primordiale, tout philosophème vrai, doit avoir pour noyau intime ou pour racine une conception intuitive. Car celle-ci, bien qu’étant quelque chose