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essai sur le libre arbitre

lonté ; et le choix tombe souvent autrement que nous ne supposions d’abord. Par suite, nul ne peut savoir comment un autre homme, ni même comment lui en personne agira dans une circonstance déterminée, avant qu’il ne s’y soit trouvé. Ce n’est qu’après une épreuve subie qu’il peut être certain des autres et de lui-même. Mais alors il peut l’être en toute sécurité : l’amitié éprouvée, des serviteurs éprouvés, sont les choses les plus sûres du monde[1]. En général, nous traitons un homme qui nous est exactement connu, comme toute chose, dont nous avons déjà appris à connaître les qualités, et nous prévoyons avec assurance, dans l’avenir, ce qu’il nous est permis ou non d’attendre de lui. Celui qui a fait une fois telle chose, agira encore de même le cas échéant, en bien comme en mal. Aussi celui qui a besoin d’une aide considérable, extraordinaire, s’adressera-t-il de préférence à un homme ayant donné des preuves de sa grandeur d’âme : et celui qui veut aposter un meurtrier, jettera les yeux sur les gens qui ont déjà trempé leurs mains dans le sang. D’après le récit d’Hérodote (VII, 164), Gélon de Syracuse, se trouvant dans la nécessité de confier une très-forte somme à un homme pour la porter à l’étranger, choisit à cet effet Kadmos, qui avait donné jadis un

  1. Mme Necker a écrit dans le même esprit : « La probité reconnue est le plus sûr de tous les serments. »