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essai sur le libre arbitre

tance, ni sur leur durée, sous la pression variable des circonstances. Il en est de même de cette vertu chrétienne de l’amour, caritas ignorée d’Aristote comme de tous les anciens[1]. Comment se pourrait-il que la bonté infatigable d’un homme, aussi bien que la perversité incorrigible, profondément enracinée de tels autres, le caractère d’un Antonin, d’un Adrien, d’un Titus, d’une part, et celui de Caligula, de Néron, de Domitien de l’autre, fussent en quelque sorte nés du dehors, l’ouvrage de circonstances fortuites, ou une pure affaire d’intelligence et d’éducation ! Sénèque ne fut-il pas le précepteur de Néron ? — C’est bien plutôt dans le caractère inné, ce noyau véritable de l’homme moral tout entier, que résident les germes de toutes ses vertus et de tous ses vices. Cette conviction naturelle à tout homme sans préjugés guidait déjà la plume de Velleius Paterculus, quand il écrivait les lignes suivantes sur Caton (II, 35) : « Caton était l’image de la vertu même. Plus semblable aux Dieux qu’aux hommes, par sa droiture et par son génie, il ne fit jamais le bien pour paraître le faire, mais parce qu’il lui était impossible de faire autrement[2]. » (Trad. française de M. Herbet.)

  1. Il semble cependant qu’elle n’est pas tout à fait étrangère au fameux Homo sum du vieux Térence !
  2. « Ce passage tend à devenir peu à peu une arme régulière dans l’arsenal des déterministes, honneur auquel