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LE SEUL MOTIF MORAL VÉRITABLE.

donner, cruelle blessure à notre orgueil ; — ou enfin quand, selon les principes de Wolff, on se propose en cela de travailler à se perfectionner. Bref, qu’on suppose à une action, comme cause dernière, le motif qu’on voudra : ce sera toujours, en fin de compte, et par des détours plus ou moins longs, le bien et le mal de l’agent lui-même, qui aura tout mis en branle ; l’action sera donc égoïste, et par suite sans valeur morale. Il est un cas, un seul, qui fasse exception : c’est quand la raison dernière d’une action ou omission réside dans le bien et le mal d’un autre être, « intéressé à titre de patient » : alors l’agent, dans sa résolution ou son abstention, n’a rien d’autre en vue, que la pensée du bien et du mal de cet autre ; son seul but, c’est de faire que cet autre ne soit pas lésé, ou même reçoive aide, secours et allégement de son fardeau. C’est cette direction de l’action qui seule peut lui imprimer un caractère de bonté morale ; ainsi tel est le propre de l’action, positive ou négative, moralement bonne, d’être dirigée en vue de l’avantage et du profit d’un autre. Autrement, le bien et le mal qui en tout cas inspirent l’action ou l’abstention, ne peuvent être que le bien et le mal de l’agent lui-même : dès lors elle ne peut être qu’égoïste et destituée de toute valeur morale.

Or, pour que mon action soit faite uniquement en vue d’un autre, il faut que le bien de cet autre soit pour moi, et directement, un motif, au même titre où mon bien à moi l’est d’ordinaire. De là une façon plus précise de poser le problème : comment donc le bien et le mal d’un autre peuvent-ils bien déterminer ma volonté directement, à la façon dont seul à l’ordinaire, agit mon propre bien ? Comment ce bien, ce mal, peuvent-ils devenir mon motif, et même un motif assez puissant pour me décider parfois à faire passer en seconde ligne et plus ou moins loin derrière, le principe constant de tous mes autres actes, mon bien et mon mal à moi ? — Évidemment, il faut que cet autre être devienne la fin dernière de mon acte, comme je la suis moi-même en toute autre circonstance : il faut donc que je veuille son bien et que je ne veuille