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LE SEUL MOTIF MORAL VÉRITABLE.

phénomène ; notre tâche sera d’abord de voir si tous les actes de justice spontanée et de véritable charité suivent vraiment cette même marche. Alors notre problème sera résolu : nous aurons fait voir dans la nature humaine le fondement dernier de la moralité : d’expliquer ce fondement lui-même, ce ne peut plus être là un problème de morale : comme toute réalité considérée en tant que telle, il ne fournit matière à recherche qu’à la seule métaphysique. Or l’interprétation métaphysique du fait premier de la morale, dépasse déjà la question proposée par la Société Royale ; dans cette question il s’agit seulement de la base de l’éthique, et l’autre problème, en tout cas, n’y peut être ajouté que comme un appendice à prendre ou à laisser. — Toutefois, avant que j’entreprenne de déduire du principe que je propose les vertus cardinales, je dois placer ici deux remarques essentielles.

1. — Pour la commodité de l’exposition, tout à l’heure, quand j’ai par déduction découvert la pitié, cette unique source des actions moralement bonnes, j’ai simplifié mon exposé en laissant de côté, à dessein, un motif, la méchanceté, qui, désintéressée d’ailleurs comme la pitié, prend pour fin dernière la souffrance d’autrui. Mais maintenant nous pouvons en tenir compte, et alors résumer dans une forme plus parfaite et plus rigoureuse la démonstration de tout à l’heure :

Il n’y a que trois motifs généraux auxquels se rapportent toutes les actions des hommes : c’est seulement à condition de les éveiller qu’un autre motif quelconque peut agir. C’est :

a. L’égoïsme : ou la volonté qui poursuit son bien propre (il ne souffre pas de limites) ;

b. La méchanceté, ou volonté poursuivant le mal d’autrui (elle peut aller jusqu’à l’extrême cruauté) ;

c. La pitié, ou volonté poursuivant le bien d’autrui (elle peut aller jusqu’à la noblesse et à la grandeur d’âme).

Il n’est pas d’action humaine qui ne se réduise à l’un de ces trois principes ; toutefois, il peut arriver que deux y concourent. Or, nous avons admis qu’il se rencontre en fait des actions mora-