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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

réalité, pour parvenir à le rendre intelligible ; et qu’à ce compte, il a beaucoup à faire, considérablement plus qu’on n’a encore fait jusqu’ici, après des milliers d’années écoulées. Conformément à la pétition de principe commise par Kant, et ci-dessus indiquée, on voit ce philosophe, dans sa préface, qui roule toute sur ce sujet, admettre avant toute recherche qu’il y a des lois morales pures, et cette proposition subsiste dans la suite du livre, et sert de base dernière à tout le système. Or, il nous convient à nous d’examiner d’abord la notion de la loi. Le mot, dans son sens propre et primitif, signifie seulement la loi civile, lex, νόμος : un arrangement établi par les hommes, reposant sur un acte de la liberté humaine. La notion de la loi reçoit encore un second sens, détourné, figuré, métaphorique, quand on l’applique à la nature : ce sont alors des faits d’expérience constants, connus a priori ou constatés a posteriori, que par métaphore nous appelons lois de la nature. De ces lois naturelles, une très-faible partie seulement peut être découverte a priori : Kant, en vertu d’une pensée profonde et heureuse, les a mises à part, réunies, sous ce nom, la Métaphysique de la nature. La volonté humaine aussi a sa loi, car l’homme fait partie de la nature : c’est une loi qui peut se démontrer en toute rigueur, loi inviolable, loi sans exception, loi ferme comme le roc, qui possède non pas, comme l’impératif catégorique, une quasi-nécessité, mais une nécessité pleine : c’est la loi du déterminisme des motifs, qui est une forme de la loi de causalité, la causalité passant par cet intermédiaire, la connaissance. C’est là la seule loi qu’on puisse attribuer, en vertu d’une démonstration, à la volonté humaine, et à laquelle celle-ci obéisse par nature. Cette loi exige que toute action soit simplement la conséquence d’un motif suffisant. Elle est comme la loi de la causalité en général, une loi de la nature. Au contraire, y a-t-il des lois morales, indépendantes de tout établissement humain, de toute convention civile, de toute théorie religieuse ? c’est ce qu’on ne peut admettre sans preuve : donc, en admettant dès l’abord de telles lois, Kant commet une pétition