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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

caractères sont innées et immuables. Le méchant tient sa méchanceté de naissance, comme le serpent ses crochets et ses poches à venin : ils peuvent aussi peu l’un que l’autre se débarrasser. « Velle non discitur[1] », a dit le précepteur de Néron ; Platon, dans le Ménon, examine longuement ce point : si la vertu peut s’enseigner, oui ou non : il rappelle un mot de Théognis :

ἀλλὰ διδάσκων
Οὔποτε ποιήσεις τὸν κακὸν ἄνδρ’ ἀγαθόν.

(« Jamais par tes leçons du méchant tu ne feras un homme de bien. ») Puis il conclut ainsi : « ἀρετὴ ἂν εἴη οὔτε φύσει, οὔτε διδακτόν, ἀλλὰ θείᾳ μοίρᾳ παραγιγνομένη, ἄνευ νοῦ, οἷς ἂν παραγίγνηται. » (« La vertu, sans doute, n’est ni un fruit naturel, ni un effet de l’éducation : mais quand un homme a ce bonheur de la posséder, c’est sans réflexion, par une faveur divine. ») Par ces mots de φύσει et de θείᾳ μοίρᾳ, il faut entendre ici quelque chose de correspondant au physique et au métaphysique. Déjà le père de l’éthique, Socrate, avait dit, selon Aristote : « οὐκ ἐφ’ ἡμῖν γενέσθαι τὸ σπουδαίους εἶναι, ἢ φαύλους. » (« Qu’il n’est pas en notre pouvoir d’être vertueux ou méprisables. ») (Grande morale, I, 9). Aristote lui-même exprime la même pensée : «  πᾶσι γὰρ δοκεῖ ἕκαστα τῶν ἠθῶν ὑπάρχειν φύσει πως· καὶ γὰρ δίκαιοι, καὶ σωφρονικοὶ, καὶ τ’ἆλλα ἔχομεν εὐθὺς ἐκ γενετῆς. » (« Les caractères semblent être ce qu’ils sont par nature : car, si nous sommes justes, prudents, etc., c’est dès notre naissance. ») (Éthique à Nicomaque, VI, 13.) Nous retrouvons la même pensée dans des fragments bien anciens, sinon authentiques, ceux du pythagoricien Archytas, conservés par Stobée (Florilegium, tit. I, § 77). Même idée dans les Opuscula Græcorum sententiosa et moralia, éd. Orelli, vol. II, p. 240.) Voici le passage en dialecte dorien qu’on y trouve : « Τὰς γὰρ λόγοις καὶ ἀποδείξεσιν ποτιχρωμένας ἀρετὰς δέον ἐπιστάμας ποταγορεύεν, ἀρετὰν δὲ, τὰν ἠθικαν καὶ βελτίσταν

  1. « La bonne volonté ne s’apprend pas. » (TR.)