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DE LA FORME IMPÉRATIVE DE LA MORALE DE KANT.

de principe. Cette faute est d’autant plus audacieuse, que lui-même, à la page VI de la préface, ajoute : une loi morale doit avoir un caractère d’absolue nécessité. Or le propre d’une telle nécessité, c’est que les effets en sont inévitables : dès lors, comment peut-on parler de nécessité absolue à propos de ces prétendues lois morales ? de ces lois dont il donne cet exemple : « Tu dois ne pas mentir »[1] ? car visiblement, et de l’aveu de Kant même, le plus souvent elles restent sans effet : bien plus, c’est là la règle. Dans une morale scientifique, si l’on veut admettre pour la volonté des lois différentes du déterminisme des motifs, des lois primitives, indépendantes de toute institution humaine, il faudra, en prenant les choses par le pied, prouver qu’elles existent et les déduire ; si du moins on veut bien songer qu’en éthique, il ne suffit pas de prêcher la loyauté, qu’il faut la pratiquer. Tant que cette preuve ne sera pas faite, je ne connais aucune raison d’introduire en morale la notion de loi, de précepte, de devoir : cette façon de procéder n’a qu’une origine étrangère à la philosophie, elle est inspirée par le décalogue de Moïse. Un signe trahit bien naïvement cette origine, dans l’exemple même cité plus haut, et qui est le premier que donne Kant, d’une loi morale, « tu dois » (du sollt). Quand une notion ne peut se réclamer d’une autre origine que celle-là, elle ne peut pas s’imposer sans autre forme de procès à la morale philosophique, elle doit être repoussée, jusqu’à ce qu’elle se présente, accréditée par une preuve régulière. Dans ce concept, nous trouvons la première pétition de principe de Kant, et elle est grave.

Après avoir, par ce moyen-là, dans sa préface, admis sans plus de difficulté la loi morale, comme une réalité donnée et incontestée, Kant poursuit et en fait autant (p. 8 ; R. 16) pour la notion, alliée à la précédente, du devoir : sans lui imposer un plus long examen, il la reçoit à titre de notion essentielle en éthique.

  1. Ou : « Tu ne mentiras point. » Ce qui est la formule biblique. — Ici il y a dans le texte original une orthographe ancienne, celle de Zwingli, de Luther dans sa traduction de la Bible (du sollt pour du sollst) : Schopenhauer la relève. — (TR.)