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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

plus intime. Or, tout ce qu’on peut, c’est de répandre la lumière dans sa tête, de corriger ses idées, de lui faire comprendre mieux la réalité, les choses de la vie. Et après cela, qu’a-t-on obtenu ? que la nature de sa volonté s’exprimât avec plus de logique, de clarté, de décision. Et en effet, plus d’une bonne action sans doute est inspirée d’idées fausses, d’illusions, imposées à bonne intention, touchant une récompense à obtenir en ce monde ou dans l’autre ; mais bien des fautes aussi ont pour cause une notion fausse des choses humaines. Cette vérité sert de principe au système pénitentiaire des Américains : là, le but n’est pas d’améliorer le cœur du coupable, mais simplement de lui remettre la tête d’aplomb, de l’amener à comprendre, que s’il y a un moyen sûr et aisé d’arriver au bien-être, c’est le travail et l’honnêteté, non la friponnerie.

À l’aide de motifs choisis, on peut imposer aux hommes la légalité, mais la moralité, non pas ; on peut changer leur conduite, mais non leur volonté en elle-même : or c’est de la volonté seule que vient toute valeur morale. On ne peut pas changer le but que poursuit la volonté, mais seulement le chemin qu’elle se fraye pour y arriver. Avec l’instruction, vous agissez sur le choix des moyens, non sur celui de la fin dernière de tous les actes : cette fin, c’est la volonté de l’individu qui se la propose, et en cela, elle suit sa nature primitive. On peut faire voir à un égoïste qu’en renonçant à un petit avantage il en peut réaliser un plus grand ; au méchant que pour causer à autrui de la souffrance, il s’en inflige une plus vive. Mais quant à réfuter l’égoïsme, la méchanceté, en eux-mêmes, c’est ce qui ne se peut pas ; non, pas plus que de prouver au chat qu’il a tort d’aimer les souris. De son côté, la bonté peut, grâce à un perfectionnement des idées, à une connaissance plus profonde des rapports des hommes entre eux, en un mot, à une plus grande lumière répandue dans l’esprit, parvenir à exprimer sa nature d’une façon plus conséquente et plus achevée : ainsi, en apprenant les effets éloignés de nos actions pour les autres, les souffrances que leur cause par exemple, à