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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

nécessité résulte du respect de la loi, » si on la mettait en un langage direct et sans sous-entendu, si on levait le masque, deviendrait : « Le devoir signifie, une action qui nécessairement doit arriver par soumission envers une loi. » — Voilà le « dessous des cartes. »[1].

Et maintenant, la loi, cette pierre fondamentale de l’éthique de Kant ! Quelle en est la teneur ? Où est-elle écrite ? Question capitale. Je remarque ceci d’abord : le problème est double : il s’agit du fondement de l’éthique, et de son principe. Deux choses bien différentes. Il est vrai que le plus souvent, et parfois non sans dessein, on les a confondues.

On appelle principe ou proposition première d’une morale, l’expression la plus brève et la plus précise pour signifier la conduite qu’elle prescrit, ou, si elle n’a pas la forme impérative, la conduite qu’elle regarde comme ayant par elle-même une valeur morale. C’est donc une proposition qui renferme la formule de la vertu en général, le ὅ⸒τι de la vertu[2]. — Quant au fondement d’une morale, c’est le διότι de la vertu, la raison de l’obligation, du commandement, de la louange : d’ailleurs, qu’on aille chercher, cette raison dans la nature de l’homme, ou dans des relations extérieures, ou ailleurs, il n’importe. En Éthique comme en toute autre science, on devrait distinguer nettement le ὅ⸒τι du διότι. Mais la plupart des moralistes effacent tout exprès cette distinction : c’est qu’il est si aisé d’expliquer le ὅ⸒τι et si prodigieusement difficile d’expliquer le διότι ! Sans doute voilà ce qui les pousse. Ils espèrent dissimuler le côté par où ils sont pauvres à l’aide de leur richesse partielle : ils uniront en une même proposition richesse et pauvreté, et feront une heureuse union entre Πενία et Πόρος[3]. À cet effet, d’ordinaire, au lieu d’exprimer le

  1. « Des Pudels Kern », mot à mot, le noyau du tour de passe-passe. (TR.)
  2. ὅ⸒τι, ce que c’est que… ; διότι le pourquoi de… (TR.)
  3. Allusion à un mythe du Banquet, où Platon fait naître le monde de l’union de Πενία (la Pauvreté) avec Πόρος (le Riche), au milieu