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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

qui contente la raison, sans connaître la nature du tout. » (Phèdre.) La métaphysique de la Nature, la métaphysique des Mœurs et la métaphysique du Beau, se supposent mutuellement, et c’est par leur union seule que s’achève l’explication de l’essence des choses et de l’existence en général. Aussi, qui aurait pénétré l’une seulement des trois jusque dans son dernier fond, aurait du même coup soumis les deux autres à son explication. C’est ainsi que, si nous avions, d’une seule des choses de ce monde, une connaissance complète, et qui fût claire jusque dans son dernier fond, nous connaîtrions aussi et par là même tout le reste de l’univers.

En partant d’une métaphysique donnée, et tenue pour véritable, on arriverait par la voie synthétique à découvrir le fondement de la morale ; celui-ci serait donc établi assise par assise, et par suite la morale elle-même se trouverait solidement établie. Mais, de la façon dont la question est posée, puisqu’il faut séparer l’éthique de toute métaphysique, il ne nous reste plus qu’à procéder par analyse, à partir des faits, soit ceux de l’expérience sensible, soit ceux de la conscience. Sans doute, on peut fouiller jusqu’à la racine dernière de ceux-ci, et la trouver dans l’âme humaine ; mais enfin cette racine sera un fait premier, un phénomène primordial, sans plus, et qui ne saurait se ramener lui-même à aucun principe : ainsi donc l’explication tout entière sera purement psychologique. Tout au plus pourra-t-on, mais en passant, indiquer le lien qui la rattache au principe de quelque théorie générale d’ordre métaphysique. Tout au contraire, ce fait fondamental, ce phénomène moral primitif, on pourrait lui trouver à lui-même une base, si, commençant par la métaphysique, on avait le droit de déduire de là, par voie de synthèse, l’éthique. Mais alors c’est un système complet de philosophie qu’on entreprendrait d’exposer : ce qui serait dépasser étrangement les limites de la question proposée ici. Je suis donc forcé de renfermer ma solution dans les limites mêmes que détermine le problème, énoncé, comme il l’est, isolément.