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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

qui prendrait pareille décision, se contredirait elle-même, car il peut s’offrir telles occasions, où elle-même aura besoin de l’affection et de la compassion d’autrui, et alors en établissant elle-même une semblable loi de la nature, elle se sera enlevé tout espoir d’obtenir cette aide, qu’elle souhaite. » — De même dans la Critique de la Raison pratique, Ire partie, Ier vol., chap. ii, p. 123, R. 192 : « Supposons un ordre des choses où chacun verrait la souffrance d’autrui avec indifférence, et mettons que tu en fasses partie : te trouverais-tu alors bien d’accord avec ta propre volonté ? » — « Quam temere in nosmet legem sancimus iniquam[1] ! » répondrais-je. Ces passages suffisent à nous éclairer sur le sens où il faut prendre le « je peux vouloir » dans la formule kantienne du principe de la morale. Mais nulle part cet aspect, qui est le vrai, du principe de la morale selon Kant, n’a été mieux mis en lumière que dans les Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu, § 30 : « En effet, chacun désire qu’on lui vienne en aide. Or si un homme laissait voir que sa maxime est, de ne pas vouloir aider les autres, alors chacun serait autorisé, à lui refuser tout secours. Ainsi la maxime de l’égoïste combat contre elle-même. » Autorisé, dit-il, autorisé ! Ainsi, voilà exprimée, aussi clairement qu’elle ait jamais pu l’être, la thèse, que l’obligation morale repose purement et simplement sur une réciprocité supposée, qu’ainsi elle est tout égoïste, qu’elle reçoit de l’égoïsme son commentaire : car c’est lui qui sagement, et sous la réserve d’un traitement réciproque, s’accorde à un compromis. S’il s’agissait d’établir le principe de la société, ce peu pourrait suffire : mais pour le principe de la morale, non pas. Quand donc nous lisons dans le Fondement de la Métaphysique des mœurs, p. 81, R. 67 : « Ce principe : agis toujours selon une maxime que tu puisses au même moment consentir à voir érigée en loi universelle, — est le seul sous lequel une volonté ne peut jamais se trouver en oppo-

  1. « Que nous sommes prompts à faire des lois injustes, qui se retourneront contre nous ! » (TR.)