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LES FORMES DÉRIVÉES DE LA MORALE SELON KANT.

ponse, avant que la question ait pu pénétrer jusqu’au tribunal du bon sens proprement dit ; il cherche donc à nous mener comme il convient pour ses desseins, sans même en avoir conscience : bien plus, il se figure parler d’après ce qu’il voit, au moment où il parle selon ce qu’il veut ; c’est à ce point, qu’il peut aller jusqu’à mentir, au pied de la lettre, sans s’en apercevoir. Tant la volonté est toute-puissante sur l’intelligence. Aussi, veut-on savoir si un homme parle d’après ce qu’il sait ou d’après ce qu’il désire ? Il ne faut pas s’en remettre au témoignage de sa conscience à lui : c’est à son intérêt que d’ordinaire il faut regarder. Prenons un autre exemple : imaginons un homme serré de près par ses ennemis, dans les angoisses suprêmes ; il rencontre un marchand ambulant ; il lui demande s’il sait un chemin de traverse : rien d’étonnant si ce marchand lui réplique : « N’avez-vous rien à m’acheter ? » — Certes on ne peut dire qu’il en soit toujours ainsi : il arrive presque à tout homme de prendre part directement au bonheur et au malheur d’autrui, et, pour parler comme Kant, de voir en autrui une fin et non un moyen. Cependant c’est là une pensée plus ou moins familière ou étrangère à chacun, de traiter les autres, non plus ainsi qu’à l’ordinaire comme des moyens, mais comme des fins : et de là les grandes différences que l’on trouve, en morale, entre les divers caractères. Maintenant, d’où dépendent ces faits ? le savoir, ce serait connaître le fondement vrai de l’éthique, celui que je chercherai dans la partie suivante de cet écrit.

Ainsi Kant, dans la seconde formule, nous a signalé l’égoïsme et son contraire, à l’aide d’un trait des plus caractéristiques ; c’est là un point brillant dans son œuvre ; et je l’ai mis en évidence d’autant plus volontiers que, désormais, je ne pourrai pas laisser grand’chose debout de tous les fondements de son éthique.

Kant a donné à son principe de morale une troisième et dernière forme : c’est l’Autonomie de la volonté : « La volonté de tout être raisonnable est une législatrice universelle pour tous les