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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

dence de notre conduite, n’est point causé par des motifs égoïstes, au contraire, ici, ce qui nous mécontente, c’est d’avoir trop agi en égoïstes, d’avoir regardé trop à notre intérêt, trop peu à celui des autres, ou même d’avoir, sans intérêt, pris pour but le mal d’autrui, le mal pour le mal. Oui, ce qui nous fâche et nous trouble, ce sont des maux que nous n’avons pas éprouvés, mais bien causés : voilà le fait dans sa nudité, et nul ne le méconnaîtra. Comment tient-il à la seule base solide que puisse avoir l’éthique ? c’est ce que nous chercherons plus loin.

Mais sur ce fait primitif, Kant, comme un habile avocat, a fait en l’embellissant et le grandissant, les derniers efforts pour établir une base capable de recevoir ensuite sa morale et sa théologie morale.

§ 10. — La Théorie du caractère intelligible et du caractère empirique dans Kant. — Théorie de la Liberté.

J’ai dû, pour servir la vérité, diriger contre la morale de Kant des attaques, et qui ne s’arrêtent pas, comme celles des mes prédécesseurs, à la surface, mais pénètrent dans le fond du fond, et bouleversent tout. Maintenant, la justice exige, ce me semble, que je complète le tableau, en rappelant ici le très-grand et très éclatant mérite de Kant en morale. C’est d’avoir concilié la liberté avec la nécessité : cette théorie se trouve pour la première fois dans la Critique de la Raison pure (pp. 533-554 de la 1re édit. ; 561-582 de la 5e) ; mais l’auteur en donne un exposé plus clair encore dans la Critique de la Raison pratique (4e édit. pp. 169-179 ; R. 224-231).

Ce furent Hobbes d’abord, puis Spinoza, ensuite Hume et aussi d’Holbach dans son Système de la nature, enfin, et avec plus de détails et de profondeur, Priestley, qui firent voir l’enchaînement étroit et nécessaire des actes de la volonté, mirent ce point hors de doute, et si clairement, qu’il faut le ranger parmi les vérités parfaitement démontrées : il n’y a plus que les ignorants et les