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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

que 46 pages in-12, et de contenir néanmoins toute sa philosophie « in nuce[1] » ; aussi faut-il le recommander à ceux qui font trop de cas de leur temps, pour le gaspiller à la lecture des autres productions plus considérables de ce personnage, où l’on retrouva les longueurs ennuyeuses d’un Christian Wolff, et où l’on sent un désir de donner au lecteur des illusions, non des leçons. Donc dans ce petit écrit, on lit ceci : « La seule raison d’être d’une intuition du monde sensible, c’est que dans un tel monde, le moi devenait visible pour lui-même, en sa qualité de sujet du devoir absolu. — P. 33, nous voyons « qu’il était moralement nécessaire que la nécessité morale fût visible, » et p. 36 « qu’il doit m’être possible de voir que je dois ». — C’est là que devait conduire la forme impérative de la morale de Kant avec son devoir sans preuve, qu’elle avait obtenu comme un point d’arrêt, un « ποῦ στῶ[2] » très-commode ; et cela aussitôt après Kant.

D’ailleurs rien de ceci n’enlève à Fichte son mérite propre, qui fut, au moment où apparaissait la philosophie de Kant, ce chef-d’œuvre tardif de la pensée humaine en ce qu’elle a de profond, d’avoir, dans sa nation même, éclipsé, bien plus, supplanté cette philosophie, avec des gasconnades et des superlatifs, avec des extravagances, avec cette sottise, cachée sous un masque de sagesse profonde, qui est l’âme de ses « Fondements de la théorie complète de la science » ; et ainsi d’avoir appris au monde, par une preuve incontestable, ce que vaut la compétence du public philosophique allemand : il lui a fait jouer, à ce public, le rôle d’un enfant, à qui on prend des mains un joyau précieux, en lui offrant en échange un joujou de Nuremberg. C’est ainsi que sa gloire lui a été acquise, une gloire qui aujourd’hui encore vit à crédit ; et nous continuons à voir le nom de Fichte cité sans cesse à côté de celui de Kant, comme s’il ne s’en séparait pas, (Ἡρακλὴς καὶ πίθηκος ! Hercule et son singe !) quand encore on ne le

  1. « Réduite au noyau. » (TR.)
  2. « Un point où m’arrêter ! » (TR.)