Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/100

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chose est telle et pourquoi elle est telle. La méthode d’Euclide, au contraire, sépare ces deux connaissances et ne nous donne que la première, jamais la seconde, Aristote, dans ses Anal. post., I, 27, dit excellemment : ’Ακριϐεστερα δ' επιστημη επιστημης και προτερα, ητε του οτι και του διοτι η αυτη, αλλα μη χωρις του οτι, της του διοτι. « Subtilior autem et prœstantior ea est scientia qua quod aliquid sit et cur sit una simulque intelligimus, non separatim quod et cur sit. »

Nous ne sommes satisfaits, en physique, qu’après avoir appris non seulement que tel phénomène est ce qu’il est, mais pourquoi il est tel. Savoir que le mercure, dans le tube de Toricelli, s’élève à 28 pouces, n’est pas grand’chose, si l’on n’ajoute que cela résulte de la pesanteur de l’air. Mais en géométrie faut-il donc nous contenter de cette « qualité occulte » du cercle, qui consiste en ce que si deux cordes se coupent à l’intérieur du cercle, le produit des segments de l’une est égale au produit des segments de l’autre ? Euclide, dans la 35e proposition du livre III, démontre bien, il est vrai, qu’il en est ainsi : mais nous en sommes encore à connaître le pourquoi. De même, le théorème de Pythagore nous apprend une « qualité occulte » du triangle rectangle ; la démonstration boiteuse et même captieuse d’Euclide nous abandonne au pourquoi, tandis que la simple figure, déjà connue, que nous reproduisons, nous fait entrer du premier coup, et bien plus profondément que la démonstration, au cœur même de la question ; elle nous amène à une plus intime conviction de la nécessité de cette propriété, et de sa liaison avec l’essence même du triangle rectangle :

Même dans le cas où les côtés du triangle sont inégaux, on doit arriver à une semblable démonstration, et en général dans le cas de toute vérité géométrique possible. La raison en est que la découverte de ces vérités procède chaque fois d’une semblable nécessité intuitive et que la démonstration ne vient s’y ajouter qu’après. Ainsi, on n’a besoin que d’une analyse de la marche de la pensée, ou de la première découverte d’une vérité géométrique, pour en connaître intuitivement la nécessité. C’est surtout la méthode analytique que je désirerais pour l’exposition des mathématiques, au lieu de la méthode synthétique, dont s’est servi Euclide. Il en résulterait, pour les vérités mathématiques un peu compliquées, de grandes difficultés sans doute, mais on pourrait en venir à bout. Déjà, en Allemagne,