Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/204

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connaît-elle des objets que leurs relations ; elle ne connaît les objets qu’en tant qu’ils existent en tel instant, à telle place, parmi tels autres objets, en vertu de telles causes, avec telles propriétés ; elle ne les connaît, en un mot, qu’à titre de choses particulières ; et si l’on supprimait les relations, les objets lui échapperaient du même coup, par la bonne raison qu’elle ne connaît d’eux que les relations. — Il ne faut point nous le dissimuler : ce que les sciences considèrent dans les choses, ce n’est en somme rien d’autre que tout ce que nous venons de voir, c’est-à-dire les relations, les rapports de temps, d’espace, les causes des changements physiques, la comparaison des formes, les motifs des événements, en un mot de pures relations. Ce qui distingue les sciences de la connaissance ordinaire, c’est simplement leur forme : elles sont systématiques ; elles facilitent la connaissance en faisant, grâce à la subordination des concepts, la synthèse de tous les cas particuliers, et elles atteignent par le fait à la généralité. Toute relation n’a même qu’une réalité relative ; par exemple, tout être considéré dans le temps peut être également, et par contre, qualifié de non-être, car le temps n’est que ce qui permet à plusieurs qualités opposées d’appartenir à un même objet : c’est pourquoi chaque phénomène qui est dans le temps finit par ne plus y être ; car ce qui sépare son commencement de sa fin, c’est justement le temps, chose essentiellement fugitive, inconstante et relative, nommée ici durée. Mais le temps est la forme la plus générale que revêtent tous les objets de cette connaissance, destinée au service de la volonté ; il est l’archétype de toutes leurs autres formes.

En règle générale, la connaissance demeure toujours au service de la volonté, de même qu’elle est née pour cette destination et qu’elle est pour ainsi dire greffée sur la volonté comme la tête l’est sur le tronc. Chez les animaux, la servitude de la connaissance à l’égard de la volonté ne peut jamais être supprimée. Chez les hommes, l’abolition de cette servitude n’a lieu qu’à titre d’exception, comme nous allons le voir immédiatement dans ce qui va suivre. Cette différence entre l’homme et les animaux trouve son expression physique dans la différence des proportions respectives de la tête et du tronc chez les uns et chez les autres. Dans les animaux inférieurs, les deux parties sont encore mal délimitées : chez tous la tête est dirigée vers cette terre où se trouvent les objets de la volonté ; même dans les animaux supérieurs, la tête et le tronc sont encore beaucoup moins distincts que chez l’homme ; l’homme porte une tête librement plantée sur un corps qui la supporte et qu’elle ne sert point. Le privilège de l’homme se manifeste à son degré Je plus éminent dans l’Apollon du Belvédère : la tête du dieu des Muses porte au loin ses regards ; elle se dresse si