Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/207

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dégage pur et entier, c’est alors seulement que se produit la parfaite objectivation de la volonté, puisque l’idée n’est autre chose que son objectité adéquate. Celle-ci résume en elle, et au même titre, objet et sujet (car ils constituent sa forme unique) ; mais elle maintient entre eux un parfait équilibre : d’une part, en effet, l’objet n’est autre chose que la représentation du sujet ; d’autre part, le sujet qui s’absorbe dans l’objet de l’intuition devient cet objet même, attendu que la conscience n’en est désormais que la plus claire image. Cette conscience constitue, à proprement parler, la totalité du monde considéré comme représentation, si nous concevons que nous parcourons successivement avec son flambeau la série complète des idées, autrement dit les degrés d’objectité de la volonté. Les choses particulières, à quelque point du temps ou de l’espace qu’on les place, ne sont pas autre chose que les idées soumises à la multiplicité par le principe de raison (qui est la forme de la connaissance individuelle considérée comme telle) ; or les idées se trouvent, par ce fait même, déchues de leur pure objectité. De même que dans l’idée, lorsqu’elle se dégage, le sujet et l’objet sont inséparables, parce que c’est en se remplissant et se pénétrant avec une égale perfection de part et d’autre qu’ils font naître l’idée, l’objectité adéquate de la volonté, le monde considéré comme représentation, de même aussi, dans la connaissance particulière, l’individu connaissant et l’individu connu demeurent inséparables, en tant que choses en soi. Car si nous faisons complète abstraction du monde considéré proprement comme représentation, il ne nous reste plus rien, si ce n’est le monde considéré comme volonté ; la volonté constitue l’ « en soi » de l’idée, laquelle est l’objectité parfaite de la volonté ; la volonté constitue aussi l’ « en soi » de la chose particulière et de l’individu qui la connaît, lesquelles ne sont que l’objectité imparfaite de la volonté. Considérée en tant que volonté, indépendamment de la représentation et de toutes ses formes, la volonté est une et identique dans l’objet contemplé et dans l’individu qui en s’élevant à cette contemplation prend conscience de lui-même comme pur sujet ; tous deux par suite se confondent ensemble : car ils ne sont en soi que la volonté qui se connaît elle-même ; quant à la pluralité et à la différenciation, elles n’existent qu’à titre de modalités de la connaissance, c’est-à-dire seulement dans le phénomène et en vertu de sa forme, le principe de raison. De même que sans objet ni représentation je ne suis pas sujet connaissant, mais simple volonté aveugle ; de même, sans moi, sans sujet connaissant, la chose connue ne peut être objet et demeure simple volonté, aveugle effort. Cette volonté est en soi, c’est-à-dire en dehors de la représentation, une et identique avec la mienne : c’est seulement dans le monde considéré comme représentation, soumis en tous cas