Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/365

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avec ce corps, la volonté dont il était le vêtement s’éteint. Mais déjà la satisfaction du besoin sexuel dépasse l’affirmation de l’existence particulière, limitée à un temps si court, va plus loin, et par delà la mort de l’individu, jusqu’à une distance infinie, affirme la vie. Toujours vraie et logique, la nature ici est en outre naïve, et nous met sous les yeux toute la signification de l’acte générateur. La conscience même, la force du désir, nous révèle dans cet acte l’affirmation la plus décisive de la volonté de vivre, dans sa pureté, et indépendante de toute addition (telle que la négation des autres individus) ; en outre, dans le temps, dans la série des causes, dans la nature enfin, apparaît, comme conséquence de l’acte, une nouvelle vie : en face du générateur, l’engendré, comme phénomène, est différent ; mais en soi et par son idée, il lui est identique. Voilà pourquoi cet acte permet aux générations successives des vivants de s’unir en un tout, qui peut être dit perpétuel. L’acte de la procréation, par rapport à son auteur, ne fait qu’exprimer, signaler son adhésion déterminée à la vie : par rapport au nouvel individu, elle n’est certes pas la cause de la volonté dont il est la manifestation, car en soi la volonté ne connaît ni cause ni effet ; mais, comme toute cause, elle est purement l’occasion qui a fait se manifester la volonté en ce moment et en ce point-là. Comme chose en soi, la volonté du générateur et celle de l’engendré, ce n’est qu’une volonté ; car le phénomène seul est soumis au principe d’individuation, et non pas la chose en soi. Par l’effet même de cette affirmation qui dépasse le corps de l’individu, et va jusqu’à la production d’un nouveau, la douleur et la mort, elles aussi, et en tant qu’elles sont essentielles au phénomène de la vie, se trouvent du même coup affirmées à nouveau ; et pour cette fois, la chance de délivrance que doit offrir l’intelligence parvenue à son point le plus élevé de perfection est visiblement perdue. Telle est la signification profonde de la honte qui accompagne l’acte de la génération. — C’est l’idée même qui, sous forme mythique, se retrouve dans le dogme chrétien du péché d’Adam : ce péché, évidemment, c’est d’avoir goûté le plaisir de la chair ; tous nous y participons, et par là nous sommes soumis à la douleur et à la mort. Ce dogme nous élève au-dessus de la sphère où tout s’éclaire par la raison suffisante, il nous met en face de l’Idée de l’homme : cette Idée, il nous apprend à en recomposer l’unité, après qu’elle s’est dispersée en d’innombrables individus, en les réunissant par le lien de la génération. Par suite, le christianisme voit en tout individu d’abord son identité avec Adam, avec le représentant de l’affirmation de la vie, d’où sa participation au péché (au péché originel), et par là à la douleur et à la mort ; puis aussi, et grâce à l’Idée dont il s’éclaire ici, l’identité de cet individu avec