Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/446

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mation énergique de la volonté ; il ne peut pas non plus avoir comme nous un corps ; car le corps n’est en définitive que volonté concrète, que phénomène du vouloir ; non, il est né d’une vierge et il n’a qu’un simulacre de corps. Ce dernier point était soutenu par les Docètes : tel était le nom de certains Pères de l’Église, qui se montraient en cela parfaitement conséquents. C’était surtout Appelles qui enseignait cette doctrine ; Tertullien s’est élevé contre lui et contre ses successeurs. Mais saint Augustin lui-même commente le passage de l’Épître aux Romains sur lequel ils s’appuyaient ; voici d’abord le texte : «  Deus filium suum misit in similitudinem carnis peccati[1]. » Voici maintenant le commentaire : « Non enim caro pecccati erat, quæ non de carnali delectatione nata erat : sed tamen inerat ei similitudo carnis peccati, quia mortalis erat[2]. » Le même saint Augustin, dans son ouvrage intitulé Opus imperfectum[3], enseigne que le péché originel est tout à la fois une faute et un châtiment. Selon lui, il existe déjà dans le nouveau-né, mais il ne se montre qu’à mesure que l’enfant grandit. Pourtant c’est à la volonté du pécheur qu’il faut faire remonter la source de ce péché. Ce pécheur était Adam ; mais nous avons tous existé en lui : Adam est devenu misérable, et nous sommes devenus en lui tous misérables. — En définitive, la doctrine du péché originel (affirmation de la volonté) et de la rédemption (négation de la volonté) est la vérité capitale qui forme, pour ainsi dire, le noyau du christianisme ; tout le reste n’est le plus souvent que figure, enveloppe ou hors-d’œuvre. Aussi faut-il toujours concevoir Jésus-Christ, au point de vue général, comme le symbole ou la personnification de la négation du vouloir-vivre, et non comme une individualité, tel que nous le présente l’Évangile, son histoire mythique, ou bien tel que nous le font voir les données historiques probables ou réelles qui servent de fondement à l’Évangile. Ni l’une ni l’autre version ne peut complètement nous satisfaire. Nous n’y voyons que le véhicule de la conception primitive, destiné à la faire pénétrer dans le peuple, lequel veut toujours s’appuyer sur des faits positifs. — Que si le christianisme a oublié dans ces derniers temps sa première signification et a dégénéré en un plat optimisme, nous n’en avons nul souci.

Il est encore dans le christianisme une doctrine primitive et évangélique que saint Augustin, d’accord avec les chefs de l’Église, y défendait contre les billevesées des pélagiens et que Luther, comme il s’en explique formellement lui-même dans son livre De servo arbitrio, s’était donné comme tâche principale de proclamer

  1. Ep. ad Rom., VIII, 3.
  2. Liber LXXXIII, Question 66.
  3. I, 47.