Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 2, 1913.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


SECONDE PARTIE
LA DOCTRINE DE LA REPRÉSENTATION ABSTRAITE
OU DE LA PENSÉE
(§§ 8 et 9 du premier volume)


CHAPITRE V
DE L’INTELLECT IRRATIONNEL

Nous devrions avoir une connaissance complète de la conscience des animaux, autant du moins qu’il nous est possible de la construire, à l’aide de certaines propriétés empruntées à notre propre conscience. Cependant, il faut y faire une grande place à l’instinct, qui est beaucoup plus développé chez les animaux que chez l’homme, et qui même, chez quelques-uns, est une faculté artiste.

Les animaux ont un entendement, mais pas de raison ; par conséquent leur connaissance est tout intuitive et non abstraite. Ils ont l’appréhension juste et la perception de tout rapport causal immédiat ; les animaux supérieurs peuvent même remonter plus haut ; mais ils ne pensent proprement pas. Car ils ne connaissent point les concepts, c’est-à-dire les représentations abstraites. D’où cette première conséquence, qu’ils sont incapables de mémoire proprement dite, même les plus intelligents d’entre eux. Voilà la différence essentielle qu’il y a entre la conscience animale et la conscience humaine. L’intelligence parfaite repose, en effet, sur une claire conscience du passé et de l’avenir comme tels, dans leur rapport avec le présent. Par conséquent, la mémoire proprement dite, nécessaire à cette opération, est une réminiscence intelligente, ordonnée, harmonieuse ; or, une telle réminiscence n’est possible qu’au moyen de concepts généraux, sans lesquels les faits