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critique de la philosophie kantienne

la totalité de ces phénomènes sous la complète dépendance de notre connaissance, d’expliquer le passé et de déterminer l’avenir. Seulement les sciences se partagent entre elles le domaine immense des phénomènes, d’après les classes différentes et multiples de ces mêmes phénomènes. À plus forte raison, c’était une entreprise hardie et heureuse de prendre les concepts en eux-mêmes, faisant abstraction de leur contenu, et d’isoler ce qu’il y a en eux d’essentiel, afin de découvrir les formes de la pensée et de déterminer d’après elles ce qu’il y a d’essentiel dans toute connaissance intuitive, par suite dans le monde en tant que phénomène. Comme d’ailleurs, en raison de la nécessité inhérente à ces formes de la pensée, on les déterminait a priori, cette découverte était elle-même d’origine subjective, et elle menait Kant précisément à son but. — Mais alors, avant d’aller plus loin, il aurait fallu rechercher quel est le rapport de la réflexion à la connaissance intuitive, question qui d’ailleurs suppose ce que Kant a négligé d’établir, savoir, une distinction nette entre l’un et l’autre de ces deux termes. Il aurait fallu rechercher également de quelle manière à proprement parler la réflexion reproduit et représente la connaissance intuitive, est-ce d’une façon pure ? ou bien au contraire la connaissance intuitive est-elle déjà altérée et en partie méconnaissable par le seul fait de sa réception sous les formes de la réflexion ? Qu’est-ce qui détermine surtout la forme de la connaissance abstraite et réfléchie ? Est-ce la forme de la connaissance intuitive, ou bien est-ce plutôt une propriété inhérente à la connaissance réfléchie elle-même ? Toujours est-il que les choses qui sont les plus hétérogènes entre elles dans la connaissance intuitive, une fois entrées dans la connaissance réfléchie, perdent leur différence ; et réciproquement bon nombre de différences, perçues dans la connaissance réfléchie, n’ont d’autre origine que le fait même de cette connaissance et ne se rapportent nullement à des différences correspondantes dans la connaissance intuitive. Cette étude aurait eu pour résultat de montrer que la connaissance intuitive, une fois introduite dans la réflexion, subit presque autant d’altérations que les aliments, qui une fois introduits dans l’organisme vivant, sont déterminés par lui à revêtir diverses formes et combinaisons, si bien qu’on ne saurait, en analysant ces combinaisons et formes, reconnaître la constitution première de l’aliment. Cependant la comparaison est un peu trop forte ; mais au moins cette étude eût montré que la réflexion ne se comporte nullement avec la connaissance intuitive comme le miroir de l’eau envers les objets qu’il reflète ; tout au plus reproduit-elle l’intuition comme l’ombre reproduit les objets : elle se contente de rendre certains contours extérieurs, elle unit en une même masse ce qu’il y a de plus com- -