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le monde comme volonté et comme représentation

Puis, Kant nous présente un prétendu principe de la raison, approprié du reste aux besoins de la cause ; mais il ne nous présente que celui-là, lequel d’ailleurs engendre ultérieurement d’autres conséquences. Ce principe est celui que Wolf établit et explique dans sa {{lié|Cosmologie[1] et dans son Ontologie[2]. Nous avons vu plus haut que, dans le chapitre de l’Amphibolie, Kant prenait les sophismes de Leibniz pour des erreurs naturelles et nécessaires de la raison et qu’il les critiquait en conséquence ; le même fait se reproduit exactement ici, à propos des sophismes de Wolf. Kant expose ce principe de la raison ; mais on ne fait que l’entrevoir à travers le brouillard ; car l’exposition est obscure, vague et incomplète[3]. Voici le principe, clairement formulé cette fois : « Lorsque le conditionné est donné, par le fait la totalité de ses conditions est également donnée, autrement dit l’inconditionné, — qui seul peut rendre complète la totalité des conditions —, est donné. » Le principe est précieux ; et chacun sera intimement convaincu qu’il est vrai, si l’on se représente les conditions et le conditionné comme les chaînons d’une chaîne verticale, dont l’extrémité supérieure ne nous serait point visible en sorte qu’elle pourrait se prolonger à l’infini : or la chaîne ne tombe pas, elle reste suspendue ; donc il doit y avoir plus haut un premier chaînon, et ce chaînon doit être attaché quelque part. Ou plus brièvement : à cette chaîne de causes, qui nous invite à remonter à l’infini, il est bon que la raison fixe un point d’attache ; cela la met à l’aise. Mais quittons les images et examinons le principe en lui-même. Il est incontestablement synthétique ; car, étant donné le concept du conditionné, l’on n’en peut retirer analytiquement qu’un seul concept, celui de la condition. De plus, ce principe n’a aucune vérité a priori ; a posteriori, il n’en a pas non plus ; mais il se pare très artificieusement d’une apparence de vérité ; voyons comment il s’y prend pour cela. Nous possédons directement et a priori les connaissances exprimées par le principe de raison sous sa quadruple forme. C’est à ces connaissances immédiates que l’on emprunte toutes les énonciations abstraites du principe de raison ; par suite ces énonciations elles-mêmes, et a fortiori leurs conséquences ne sont que des connaissances indirectes. J’ai déjà expliqué plus haut de quelle manière la connaissance abstraite unit souvent sous une seule forme ou sous un seul concept des connaissances intuitives fort complexes, et les unit de telle sorte qu’il est désormais impossible de les distinguer : la connaissance abstraite est donc à la connaissance intuitive ce qu’est l’ombre

  1. Sect. I}}, c. II, § 93.
  2. § 178.
  3. P. 307 ; 5e éd., pp 371 et 322 ; 5e éd., p. 378.