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le monde comme volonté et comme représentation

se vérifie la parole : là où les idées manquent, un mot se présente à propos (Goethe). Ce mot c’est το θρεπτικον, la faculté de nutrition : tel est le lot des plantes, c’est-à-dire une partie de la prétendue âme selon la division qui lui est si chère en anima vegetativa, sensitiva et intellectiva. Mais ce n’est là qu’une quiddité scolastique qui signifie : plantæ nutriuntur, quia habent facultatem nutritivam ; c’est encore une mauvaise compensation aux recherches plus profondes de ses prédécesseurs qu’il avait critiqués. Nous voyons en outre, au second chapitre, qu’Empédocle avait reconnu jusqu’à la sexualité des plantes ; Aristote critique cette idée à son tour et cache son manque de connaissances précises sur la question derrière des principes généraux, tels que celui-ci : les plantes ne peuvent réunir en elles les deux sexes, car elles seraient alors plus parfaites que les animaux. C’est par un procédé tout analogue qu’il a rejeté le système astronomique et cosmogonique si juste des Pythagoriciens, et c’est par les absurdes principes, exposés surtout dans son De cœlo, qu’il a donné naissance au système de Ptolémée et privé ainsi de nouveau pour près de deux mille ans l’humanité d’une vérité de la plus haute importance, et déjà découverte.

Je ne puis m’empêcher de produire ici l’avis d’un biologiste éminent de notre époque, tout à fait d’accord avec ma doctrine. Il s’agit de G.-R Treviranus qui, dans son ouvrage Sur les phénomènes et les lois de la vie organique, 1852, vol. II, 1re partie, page 49, s’exprime ainsi : « On peut concevoir une forme de vie où l’action de l’extérieur sur l’intérieur ne se traduit que par de simples sentiments de plaisir et de déplaisir, et en conséquence par des appétitions. Telle est la vie des plantes. Dans les formes plus élevées de l’existence animale, l’extérieur est senti comme quelque chose d’objectif. » Le langage de Treviranus part ici d’une pure et impartiale conception de la nature, et il a aussi peu conscience de l’importance métaphysique de ses paroles que de la contradictio in adjecto contenue dans l’idée « senti comme objectif », qu’il développe amplement. Il ignore que toute sensation est par essence subjective, tandis que tout « objectif » est intuition, c’est-à-dire œuvre de l’entendement. Mais cela ne porte aucun préjudice à la vérité et à l’importance de sa déclaration.

En effet, cette vérité que la volonté peut exister même sans la connaissance, apparaît avec une évidence pour ainsi dire palpable dans la vie des plantes. Car nous voyons chez elles un effort bien marqué, déterminé par des besoins, avec ses modifications diverses appropriées à la variété des circonstances, et tout cela manifestement sans connaissance. C’est par suite de ce défaut de connaissance que la plante, dans son entière innocence, étale à tous les yeux ses organes génitaux : elle n’en a nulle idée. Dès que la connaissance,