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objectivation de la volonté dans la nature inanimée

Ainsi l’intuition directe peut entrevoir ce qu’il y a d’identique aux deux extrêmes du phénomène de la volonté : elle éveille en effet en nous le sentiment qu’ici se manifeste un principe primitif, semblable à celui que nous font connaître les actes de notre volonté propre.

Il est une autre voie, bien plus noble, pour arriver à connaître par l’intuition l’existence et l’action de la volonté dans la nature inorganique : c’est d’approfondir le problème des trois corps et d’étudier ainsi avec plus de précision et de détails la marche de la lune autour de la terre. Les diverses combinaisons dues au changement incessant des positions réciproques de ces trois corps célestes amènent tantôt une accélération, tantôt un ralentissement dans la marche de la lune ; tantôt elle se rapproche de la terre, tantôt elle s’en éloigne ; et de plus elle ne se comporte pas de même lorsque la terre est à son périhélie ou à son aphélie : tout cela réuni apporte une telle irrégularité dans le cours de la lune qu’il semble être l’œuvre d’un véritable caprice, et que la loi de Kepler ne lui est même plus toujours invariablement applicable, puisque dans des temps égaux elle décrit des aires inégales. L’examen de ce mouvement forme un petit chapitre séparé de la mécanique céleste, si différente de la mécanique terrestre par l’absence de tout choc, de toute pression, de cette vis a tergo qui nous semble si intelligible, et même par l’absence de toute chute réelle ; elle ne reconnaît, en effet, à côté de la vis inertiæ, d’autre force motrice et directrice que la gravitation, cette tendance des corps à se réunir, et qui est issue de leur propre sein. Il suffit de s’en représenter l’action, dans le cas donné, jusque dans les moindres détails, pour reconnaître distinctement et immédiatement dans cette force motrice ce qui dans la conscience propre nous est donné sous forme de volonté. Car cette influence du soleil, avec les variations qu’elle apporte dans le cours de la terre et de la lune, influence tantôt plus grande et tantôt moindre selon la position des deux astres, présente une analogie frappante avec l’influence de nouveaux motifs sur notre volonté et les modifications qui en résultent dans notre manière d’agir.

Voici un exemple explicatif d’un autre genre. Liebig (Chimie appliquée à l’agriculture, p. 501) dit : « Introduisons une plaque de cuivre humide dans de l’air chargé d’acide carbonique, le contact avec cet acide augmentera à un tel degré l’affinité du métal pour l’oxygène de l’air, qu’il en amènera la combinaison, et la surface du cuivre se couvrira d’une couche verte de carbonate de cuivre. Or deux corps capables de s’allier reçoivent au moment de leur contact des états électriques contraires : aussi, mettons-nous en contact le cuivre et le fer, la production d’un état électrique spécial annule la capacité que possède le cuivre d’entrer en combinaison avec l’oxygène, et même, dans les conditions signalées ci-dessus, il con-