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le monde comme volonté et comme représentation

pensée ! Qu’on se rappelle bien plutôt la phthiriasis qui apparait encore même aujourd’hui. — Un cas analogue se produit, quand, par suite de circonstances particulières, se trouvent réalisées les conditions d’existence d’une espèce jusque-là étrangère au lieu en question. Ainsi au Brésil, après l’incendie d’une forêt vierge, Auguste Saint-Hilaire vit naître de la cendre à peine refroidie une foule de plantes dont on ne pouvait trouver les pareilles dans tout le pays ; et tout récemment encore l’amiral Du Petit-Thouars rapportait à l’Académie des sciences que les îles de corail de la Polynésie, en voie de nouvelle formation, se revêtaient d’une couche de terrain qui, tantôt à sec, tantôt sous les eaux, et sans retard envahie par la végétation, produit des arbres d’espèce exclusivement propre à ces îles. (Comptes rendus, 17 janvier 1859, p. 147.) — Partout où il se produit de la pourriture apparaissent de la moisissure, des champignons, et, dans les liquides, des infusoires. L’opinion aujourd’hui à la mode que des spores et des œufs, destinés à produire les espèces innombrables de tous ces genres, flottent partout dans l’air et y attendent durant de longues années une occasion favorable pour se développer, cette opinion est plus paradoxale que celle de la generatio œquivoca. La putréfaction est la dissolution d’un corps organique, tout d’abord en ses éléments chimiques les plus prochains ; or, comme ceux-ci sont plus ou moins les mêmes dans tous les êtres vivants, la volonté de vivre, partout présente, peut s’en emparer à ce moment, pour en composer, selon les circonstances, de nouveaux êtres qui, revêtant une forme convenable, c’est-à-dire objectivant leur vouloir passager, naissent de la concrétion de ces éléments, comme le poulet de celles des liquides de l’œuf. Là où rien de tel ne se produit, les matières en putréfaction se résolvent en leurs éléments plus éloignés, qui sont les principes chimiques premiers, et rentrent ainsi dans la grande circulation de la nature. La campagne menée depuis dix ou quinze ans contre la generatio œquivoca, avec les cris de victoire prématurés qui l’ont accompagnée, n’était que le prélude de la guerre entreprise contre la force vitale et s’en rapprochait. Mais ne nous laissons pas au moins abuser par des arrêts tranchants, par des assurances données avec front, comme si les choses étaient décidées, convenues, et universellement admises. Toute la théorie mécanique et atomistique de la nature marche bien plutôt au contraire à sa ruine, et ses défenseurs ont à apprendre que derrière la nature il se cache quelque chose de plus que le choc direct et le choc en retour. Tout récemment encore (1859), Pouchet a démontré victorieusement et à fond, devant l’Académie française, et au grand dépit des autres membres, à la fois la réalité de la generatio œquivoca et l’inanité de cette hypothèse extravagante que partout et toujours il flotte dans l’air des millions