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de la téléologie

coquille d’œuf, prison du jeune poussin, est la raison certaine de l’extrémité cornée dont son bec est pourvu pour transpercer cette enveloppe, et qu’il rejette ensuite comme inutile. Et de même les lois de la réflexion et de la réfraction de la lumière sont le motif de l’appareil optique, si compliqué et si parfait, de l’œil humain, avec la transparence de sa cornée, la densité différente de ses trois humeurs, la forme de sa lentille, la couleur foncée de sa choroïde, la sensibilité de sa rétine, la contractilité de sa pupille et la structure de ses muscles, toutes choses calculées d’après les lois en question. Mais tous ces motifs avaient commencé à agir avant d’être perçus : le fait est certain, si contradictoire qu’il sonne à notre oreille. Car c’est ici qu’a lieu le passage du physique au métaphysique. Or nous avons reconnu la métaphysique dans la volonté, et c’est pourquoi nous devons comprendre que cette même volonté qui fait étendre à l’éléphant sa trompe vers un objet, est aussi l’artiste qui a créé et façonné cette trompe, par anticipation des objets.

En conséquence, dans l’étude de la nature organique, nous n’avons à nous reporter qu’aux causes finales, à les chercher partout et à tout expliquer par elles ; les causes efficientes, au contraire, n’occupent ici qu’une place très secondaire, à titre de purs instruments des précédentes et nous les supposons plus que nous ne les démontrons, comme pour les mouvements volontaires des membres que provoquent sans aucun doute des motifs extérieurs. Dans l’explication des fonctions physiologiques nous nous en enquérons encore à la rigueur, quoique le plus souvent sans succès ; mais dans celle de la formation même des organes nous ne nous en soucions plus, pour nous borner aux seules causes finales : tout au plus conservons-nous encore ici un principe général, par exemple, que plus l’organe doit être grand, plus l’artère qui lui apporte le sang doit être forte ; mais quant aux causes efficientes proprement dites, qui produisent par exemple l’œil, l’oreille, le cerveau, nous n’en savons rien. Même dans l’explication des simples fonctions, la cause finale est de beaucoup plus importante et plus appropriée à la question que la cause efficiente : si elle est la seule à nous être connue, nous sommes instruits de l’essentiel et satisfaits ; la cause efficiente, au contraire, à elle seule nous est de peu de secours. Supposons, par exemple, connue la véritable cause efficiente de la circulation que nous sommes encore occupés à chercher : nous ne serions guère avancés, si nous ignorions la cause finale, à savoir que le sang doit passer dans le poumon pour s’y oxyder, et rejaillir ensuite vers les organes pour les nourrir ; la connaissance de la cause finale, au contraire, même sans l’autre, a jeté une grande lumière dans nos esprits. D’ailleurs, pour moi, je