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le monde comme volonté et comme représentation

manifestation : telle est, pour l’oiseau de passage, l’arrivée de la saison ; pour l’oiseau qui construit son nid, la fin de la fécondation et la découverte des matériaux convenables ; pour l’abeille c’est, avant de bâtir, la corbeille ou l’arbre creux qui formera la niche, et la réunion de bien d’autres circonstances particulières, favorables aux opérations suivantes ; pour l’araignée, c’est un angle bien disposé ; pour la chenille, la feuille voulue ; pour l’insecte prêt à pondre, l’endroit toujours très spécialement déterminé et souvent très rare, où, dès l’éclosion, la larve pourra trouver sa nourriture, etc. Il suit de là que dans les productions de l’instinct d’industrie, c’est d’abord l’instinct, puis en sous-ordre aussi l’intellect des animaux qui entre enjeu : l’instinct, en effet, donne le principe général, la règle ; l’intellect, le particulier, l’application ; il préside au détail de l’exécution, pour lequel le travail de ces animaux se conforme évidemment aux circonstances données chaque fois. De tout cela il résulte que la différence à établir entre l’instinct et le simple caractère est la suivante : l’instinct est un caractère qui n’est mis en mouvement que par un motif tout spécialement déterminé et qui produit par suite une action toujours exactement identique. Le caractère, au contraire, tel qu’il existe chez toute espèce animale et chez tout individu humain, est également sans doute une volonté de nature immuable et invariable, mais qui peut cependant être mue par des motifs très différents, et s’y accommoder ; l’action qui en résulte peut donc être très différente dans sa partie matérielle, mais elle portera toujours l’empreinte d’un même caractère qu’elle exprimera et manifestera, et la nature matérielle de l’action, dans laquelle il apparaît, est indifférente, pour l’essentiel, à la connaissance dudit caractère : on pourrait ainsi définir l’instinct un caractère démesurément uniforme et rigoureusement déterminé. La conséquence de l’exposé précédent est que la faculté d’être déterminé uniquement par des motifs présuppose déjà une sphère assez étendue de connaissance, et par suite, un développement d’intelligence plus parfait ; aussi cette faculté est-elle propre aux animaux supérieurs, et à l’homme plus qu’à tout autre. Au contraire, pour être déterminé par l’instinct, il suffit de la somme d’intellect nécessaire à la perception du motif unique, et spécialement déterminé, qui seul et à l’exclusion des autres permet la manifestation de l’instinct ; aussi l’instinct n’existe-t-il que là où la sphère de connaissance est des plus bornées, et ne se rencontre-t-il en général et au plus haut degré que chez les animaux des classes inférieures, les insectes notamment. Comme les actions de ces animaux ne demandent qu’une motivation extérieure, très simple et limitée, le médium des motifs, c’est-à-dire l’intellect ou le cerveau, n’est chez eux que faiblement développé, et leurs actions extérieures sont soumises à