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de l’instinct en général est de l’instinct d’industrie

exactement comme les parties de l’organisme. La seule différence est que dans l’organisme l’action de la volonté est entièrement aveugle et toute primitive ; dans les sociétés d’insectes au contraire la chose se passe déjà à la lumière de la connaissance : celle-ci pourtant n’apporte une, réelle collaboration et ne peut même choisir que dans les accidents du détail, pour tirer la volonté d’embarras et adapter le travail aux circonstances. Mais, dans l’ensemble, les insectes veulent la fin, sans la connaître, comme la nature organique qui agit en raison de causes finales ; ce qui est confié chez eux à la connaissance, ce n’est même pas le choix des moyens dans leur totalité, c’en est seulement la disposition plus précise dans chaque cas particulier. Mais c’en est assez pour enlever à leur travail le caractère mécanique ; et c’est ce qui apparaît au grand jour, si on oppose des obstacles à leur activité. Par exemple, la chenille file sa coque dans des feuilles, sans en connaître le but ; mais si l’on rompt son tissu, elle sait en réparer adroitement la trame. Les abeilles conforment, dès le début, leur construction aux circonstances présentes ; se produit-il de nouveaux incidents ou détruit-on avec intention leur ouvrage, elles savent apporter au mal le remède le plus convenable dans chaque cas particulier. (Kirby et Spence, Introd. to entomol. ; Huber, Des abeilles.) Une telle habileté excite notre admiration, car remarquer les circonstances et s’y accommoder est évidemment affaire de la connaissance, et si nous leur accordons une fois pour toutes la prévoyance la plus industrieuse pour la race future et un avenir lointain, nous savons bien qu’ils ne sont pas en cela dirigés par la connaissance, puisqu’une prévoyance issue de la connaissance demanderait une activité cérébrale aussi élevée que la raison. La modification et l’arrangement du détail, selon les circonstances déjà données ou nouvelles, est au contraire une besogne en rapport avec l’intellect même des animaux inférieurs, qui, guidé par l’instinct, se borne à remplir les lacunes laissées par celui-ci. C’est ainsi que nous voyons les fourmis emporter leurs larves, dès que l’endroit choisi devient trop humide, et de même aussi dès qu’il devient trop sec ; elles ignorent la fin qu’elles poursuivent, elles n’obéissent pas à la connaissance, mais la tâche qui demeure réservée à leur connaissance, c’est l’observation du moment où l’endroit ne convient plus à leurs larves, et le choix d’une nouvelle retraite. — Je veux mentionner ici encore un fait, qu’on m’a raconté sur expérience personnelle, et que j’ai trouvé d’ailleurs cité depuis par Burdach d’après Gleditsch. Pour étudier le fossoyeur (Necrophorus vespillo), on avait lié le cadavre d’une grenouille gisant sur le sol à un fil dont l’autre extrémité était attachée à une baguette fichée obliquement en terre : les nécrophores creusèrent, selon leur coutume, une fosse