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du primat de la volonté dans notre conscience

à l’autre. Ce moi est le sujet identique pro tempore du connaître et du vouloir, identité qui a été mon premier étonnement philosophique et que j’ai appelée dans le premier de mes écrits philosophiques, Du principe de raison, le miracle ϰατ’ἐξοχήν. C’est le point de départ et d’attache, dans le temps, de l’ensemble des phénomènes, c’est-à-dire de l’objectivation de la volonté, déterminant ces phénomènes et en étant déterminé à son tour. — Cette comparaison pourrait, se pousser plus loin et être appliquée à la nature individuelle de l’homme. En effet, de même qu’une grande corolle ne provient généralement que d’une grande racine, de même des facultés intellectuelles extraordinaires ne se rencontrent que chez des individus doués d’une volonté violente et passionnée. Un génie qui aurait un caractère phlegmatique et des passions faibles ressemblerait ces graminées qui, malgré une corolle considérable composée de feuilles épaisses, ont des racines très petites ; mais un tel génie ne se rencontrera pas. Il est physiologiquement prouvé que la violence et l’impétuosité de la volonté sont la condition de la puissance intellectuelle : en effet, l’activité cérébrale est déterminée par le mouvement que les grandes artères qui courent à la base du cerveau lui communiquent à chaque pulsation ; aussi une grande activité cérébrale ne va-t-elle pas sans de forts battements de cœur, et même, d’après Bichat, sans un cou peu long. Si l’on ne trouve pas le génie associé à une volonté débile, on rencontre parfaitement des désirs violents, un caractère passionné et impétueux unis à un intellect faible, c’est-à-dire à un petit cerveau mal conformé dans un crâne épais, phénomène aussi fréquent que répugnant ; je ne saurais comparer de telles anomalies qu’à des betteraves.

II. — Mais ne nous arrêtons pas à cette description figurée de la conscience, et cherchons à en obtenir une connaissance précise. À cet effet, voyons d’abord ce qui se rencontre à un même degré dans les diverses consciences, ce qui y est commun et constant, et par suite essentiel. Nous considérerons ensuite ce qui différencie les diverses consciences, ce qui y est accidentel et secondaire.

Nous ne connaissons guère la conscience que comme une qualité des êtres animés ; donc nous pouvons, nous devons même la concevoir comme conscience animale, et trouver une tautologie dans cette dernière expression même. — Or ce qui se rencontre toujours dans chaque conscience animale, même la plus faible, ce qui en constitue la base, c’est le sentiment immédiat d’une appétition tour à tour satisfaite et contrariée à des degrés divers. Nous savons cela en quelque sorte a priori. Car si étonnamment différentes que soient les innombrables espèces animales, si étrange que nous en apparaisse au premier abord une espèce inconnue jusqu’alors, toutefois nous considérons d’ores et déjà comme nous étant connue et