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du génie

veau, mouvement intérieur, constitué par l’ébranlement de sa masse entière à chaque pulsation des quatre artères cérébrales, et dont l’énergie doit être proportionnée à l’augmentation de volume du cerveau ; ce mouvement est d’ailleurs, en général, une condition indispensable de l’activité cérébrale. Cette activité est donc aussi favorisée par la petitesse de la stature, et surtout par le peu de longueur du cou, parce qu’alors le sang a moins de chemin à parcourir et arrive avec plus de force au cerveau ; aussi les grands esprits se trouvent rarement chez des hommes de haute taille. Cependant ce n’est pas là un élément indispensable ; Goethe, par exemple, était d’une taille supérieure à la moyenne. Mais si ces conditions de la circulation, héritées du père, viennent à faire défaut, l’heureuse constitution du cerveau transmise par la mère produira tout au plus un talent, un esprit fin, soutenu par un tempérament flegmatique ; mais un génie flegmatique est impossible. Cette condition venant du père explique nombre de vices de tempérament signalés plus haut chez l’homme de génie. Au contraire, cette condition existe-t-elle sans la première, c’est-à-dire avec un cerveau ordinaire et surtout avec un cerveau mal constitué, il naît alors une vivacité sans esprit, une chaleur sans lumière, des têtes folles, des hommes d’une agitation et d’une pétulance insupportables. Si de deux frères un seul a du génie, et si c’est presque toujours l’aîné, comme cela a été le cas pour Kant, c’est d’abord qu’à l’époque seule où il a engendré le premier, le père était encore dans l’âge de la vigueur et de la passion ; mais l’autre condition, due à la mère, peut aussi être combattue par des circonstances défavorables.

J’ai encore à ajouter ici une remarque spéciale sur le caractère enfantin du génie, c’est-à-dire sur une certaine ressemblance qui existe entre le génie et l’enfance. — Chez l’enfant, en effet, comme chez le génie, le système nerveux et cérébral a une prédominance marquée ; car son développement précède de beaucoup celui du reste de l’organisme, si bien que, dès la septième année, le cerveau a atteint tout son volume et toute sa masse. De là ces paroles de Bichat : « Dans l’enfance le système nerveux, comparé au musculaire, est proportionnellement plus considérable que dans tous les âges suivants, tandis que, par la suite, la plupart des autres systèmes prédominent sur celui-ci. On sait que, pour bien voir les nerfs, on choisit toujours les enfants. » (De la vie et de la mort, art. 8, § 6.) Le développement le plus tardif, au contraire, est celui du système génital ; c’est seulement au seuil de l’âge viril que l’irritabilité, la reproduction et la fonction génitale sont dans toute leur vigueur, et elles remportent alors, en règle générale, sur la fonction cérébrale. De là viennent l’intelligence, la sagesse, la curiosité et la facilité d’esprit