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l’esthétique de l’architecture

tecturales, je l’ai montré plus haut pour la colonne, sont déterminées tout d’abord par la fin immédiate que doit remplir chaque partie dans la construction. Reste-t-il alors quelque chose d’indéterminé, on se réfère à l’essence de l’architecture qui consiste tout d’abord dans notre intuition de l’espace et s’adresse sous ce rapport à notre faculté a priori, c’est-à-dire que la loi est de rechercher l’intuitivité la plus parfaite, et par suite les caractères les plus faciles à saisir. Le moyen infaillible d’y atteindre, c’est la régularité la plus grande des formes et le rapport rationnel des proportions. Aussi la belle architecture n’use-t-elle que des figures régulières, composées de lignes droites ou de courbes normales, ainsi que des corps qui en dérivent, tels que le cube, le parallélépipède, le cylindre, la sphère, la pyramide et le cône ; comme ouvertures elle emploie parfois le cercle ou l’ellipse, mais le plus souvent des carrés, et plus fréquemment encore des rectangles dont les côtés soient dans un rapport parfaitement rationnel et facile à saisir (par exemple dans le rapport de 1 : 2 ou de 2 : 3, et non de 6 : 7) ; enfin elle emploie aussi de fausses fenêtres ou des niches de proportions régulières et intelligibles. Pour la même raison, elle donnera volontiers aux édifices mêmes et à leurs grandes divisions une hauteur et une largeur dont le rapport soit rationnel et aisé à comprendre : par exemple, la hauteur d’une façade sera la moitié de la largeur, et les colonnes seront disposées de façon à mesurer à trois ou quatre, intervalles compris, une ligne égale à la hauteur, c’est-à-dire de façon à former un carré. Le même principe d’intuitivité et de clarté demande un ensemble qui se puisse facilement embrasser d’un coup d’œil ; de là découle la symétrie, nécessaire encore pour permettre de détacher l’édifice comme un tout, d’en distinguer les limites essentielles des limites accidentelles, de reconnaître ainsi parfois, sur ces seules indications, si nous avons devant nous un bâtiment unique ou trois bâtiments contigus. La symétrie est donc pour l’œuvre architectonique le seul moyen d’acquérir une unité individuelle et de se révéler comme le développement d’une même pensée maîtresse.

J’ai montré plus haut, en passant, que l’architecture n’a nullement à chercher ses modèles dans les formes de la nature, telles que les troncs d’arbres ou le corps humain. Mais elle n’en doit pas moins travailler dans l’esprit de la nature ; cette règle notamment : natura nihil agit frustra, nihilque supervacaneum, et quod commodissimum in omnibus suis operationibus sequitur, elle doit la faire sienne, c’est-à-dire qu’elle doit éviter jusqu’à l’apparence de ce qui est sans but ; et ces intentions sont-elles purement architectoniques, c’est-à-dire relatives à la construction, ou se rapportent-elles à la fin d’utilité, elle doit toujours les réaliser par la voie la plus courte