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de l’esthétique de la poésie

Si la tendance, l’intention dernière de la tragédie, telle qu’elle s’est révélée à nous, est de nous porter à la résignation, à la négation du vouloir-vivre, nous n’aurons pas de peine à reconnaître dans la comédie, son contraire, une invitation à persister dans l’affirmation de cette volonté. Sans doute la comédie ne peut échapper à la condition de toute peinture de la vie humaine ; elle nous mettra aussi sous les yeux des contrariétés et des souffrances, mais elle nous les montrera comme passagères, se résolvant en joie, mélées en général de succès, de triomphes et d’espérances qui finissent par l’emporter. De plus, elle met en lumière le côté comique inépuisable dont la vie et ses contrariétés mêmes sont remplies, et qui devrait en toute occasion nous maintenir en belle humeur. Elle énonce donc, en somme, que la vie dans son ensemble est bonne et surtout sans cesse amusante. Mais aussi doit-elle se hâter de baisser le rideau au moment de la joie générale, pour que nous ne voyions pas la suite ; tandis que d’ordinaire la fin de la tragédie ne comporte aucune suite. D’ailleurs examinez une seule fois un peu sérieusement ce côté burlesque de la vie, tel qu’il apparaît dans ces expressions naïves du visage, dans ces gestes que dessinent, sur des figures si différentes du type de la beauté et où la réalité se reflète, les mesquins embarras, les craintes personnelles, les colères d’un moment, l’envie cachée et toutes les émotions du même genre ; et même à la vue de cette face comique, c’est-à-dire d’une manière inattendue, l’observateur réfléchi se convaincra que l’existence et l’agitation de telles créatures ne peuvent pas être en elles-mêmes une fin ; que pour arriver à la vie, ces êtres ont dû au contraire se tromper de route, et que le tableau ainsi offert à ses regards est quelque chose qui ferait mieux de ne pas être.