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de l’histoire

comme du brahmanisme et du bouddhisme, consiste à reconnaître le néant des biens de ce monde, à les mépriser entièrement et à se tourner vers une existence tout autre et même contraire. Voilà, je le répète, l’esprit et le but du christianisme, la vraie « morale de la fable » ; et ce n’est pas le monothéisme, ainsi qu’ils se l’imaginent. Aussi le bouddhisme athée est-il plus parent du christianisme que le judaïsme optimiste et l’islamisme, simple variété du premier.

La vraie philosophie de l’histoire ne doit pas procéder ainsi. Elle ne doit pas considérer, pour parler la langue de Platon, ce qui devient toujours et n’est jamais, elle ne doit pas chercher là l’essence propre du monde, mais ce qu’elle ne doit pas perdre de vue, c’est ce qui est toujours et ne devient ni ne passe jamais. Elle ne consiste donc pas à élever les fins temporelles de l’homme à la hauteur de fins éternelles et absolues, à nous retracer la marche artificielle et imaginaire de l’humanité vers ces fins, au milieu de toutes les confusions et de toutes les erreurs. Mais il lui faut comprendre que l’histoire, non seulement dans sa forme, mais déjà dans sa matière même, est un mensonge : sous prétexte qu’elle nous parle de simples individus et de faits isolés, elle prétend nous raconter chaque fois autre chose, tandis que du commencement à la fin c’est la répétition du même drame, avec d’autres personnages et sous des costumes différents. La vraie philosophie de l’histoire revient à voir que sous tous ces changements infinis, et au milieu de tout ce chaos, on n’a jamais devant soi que le même être, identique et immuable, occupé aujourd’hui des mêmes intrigues qu’hier et que de tout temps : elle doit donc reconnaître le fond identique de tous ces faits anciens ou modernes, survenus à l’Orient comme à l’Occident ; elle doit découvrir partout la même humanité, en dépit de la diversité des circonstances, des costumes et des mœurs. Cet élément identique, et qui persiste à travers tous les changements, est fourni par les qualités premières du cœur et de l’esprit humains, — beaucoup de mauvaises et peu de bonnes. La devise générale de l’histoire devrait être : Eadem, sed aliter. Celui qui a lu Hérodote a étudié assez l’histoire pour en faire la philosophie ; car il y trouve déjà tout ce qui constitue l’histoire postérieure du monde : agitations, actions, souffrances et destinée de la race humaine, telles qu’elles ressortent des qualités en question et de la constitution physique du globe.

Nous avons reconnu jusqu’ici que l’histoire, en tant que moyen d’étudier la nature humaine, est inférieure à la poésie ; puis, qu’elle n’est pas une science au sens propre du mot ; enfin que la tentative de la construire comme un tout, pourvu d’un commencement, d’un milieu et d’une fin, d’un enchaînement et d’un sens profond, est une illusion qui repose sur un malentendu. Il semblerait que nous