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de la mort

dans l’état de santé comme dans celui de maladie, dans le sommeil, la syncope et le réveil, etc. ; toujours effet et jamais cause de la vie organique, elle s’est toujours manifestée comme une chose qui naît, puis disparaît, pour renaître ensuite, tant qu’elle trouve les conditions nécessaires à son existence, mais jamais en dehors de ces conditions. Autre remarque que je puis encore avoir faite : bien loin d’émousser, de déprimer les autres forces, ou de mettre la vie en danger, le bouleversement complet de la conscience, la démence, excite à un haut degré ces forces, l’irritabilité et l’énergie musculaire notamment, et elle augmente, bien plus qu’elle ne l’abrège, la durée de l’existence, sauf intervention d’autres causes concomitantes. — Ce n’est pas tout : je connaissais l’individualité en tant qu’attribut de tout organisme, et par suite de la conscience, s’il s’agit d’un organisme conscient. Mais quant à conclure maintenant que cette même individualité soit inhérente à ce principe dispensateur de la vie aujourd’hui disparu, et dont j’ignore complètement la nature, je n’ai aucun sujet de le faire ; et cela d’autant moins que partout je vois dans la nature chaque phénomène isolé être l’œuvre d’une force universelle, dont l’activité éclate dans mille phénomènes identiques. — Mais, d’autre part, conclure de la cessation présente de la vie organique à l’anéantissement de cette force qui en était jusque-là le ressort m’est aussi peu permis que conclure de l’arrêt du rouet à la mort de la fileuse. Qu’un pendule, en retrouvant son centre de gravité, finisse par revenir au repos et perde ainsi l’apparence de vie individuelle qui l’animait, personne n’ira penser que la pesanteur soit réduite à rien ; mais chacun concevra qu’après comme avant elle s’exprime dans d’innombrables phénomènes. Sans doute on pourrait objecter à cette comparaison qu’ici encore, dans ce pendule, la pesanteur a cessé non pas d’agir mais de révéler aux yeux son activité. Libre alors, pour qui se tient à l’objection, de se figurer au lieu du pendule un corps électrique, où l’électricité, après la décharge, a réellement cessé d’agir. J’ai voulu seulement montrer par là que nous attribuons une éternité et une ubiquité immédiates aux forces naturelles les plus inférieures, sans nous laisser un seul instant induire en erreur par la durée éphémère de leurs fugitives manifestations. Aussi peut-il d’autant moins nous venir à l’esprit de considérer la cessation de la vie comme l’anéantissement du principe vital, de tenir la mort pour la disparition complète de l’homme. Il n’est plus, le bras puissant qui bandait, il y a trois mille ans, l’arc d’Ulysse ; mais un esprit bien réglé et qui sait réfléchir ira-t-il croire pour cela à la destruction totale de la force qui agissait avec tant d’énergie dans ce bras ? Et, en poursuivant ses réflexions, admettra-t-il davantage que la force aujourd’hui capable de tendre un arc n’ait commencé à exister qu’avec le