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de la mort

matière ? Oui, je le prétends sérieusement, cette persistance même de la matière témoigne de l’indestructibilité de notre être véritable, et, pour n’être faite que par image et figure, pour ne consister que comme en une simple esquisse, cette déposition n’en est pas moins réelle. Veut-on s’en convaincre, il suffit de se rappeler l’explication donnée de la matière au chapitre xxiv : elle menait à cette conclusion que la pure matière, la matière informe, cette base du monde de l’expérience en soi insaisissable à toute perception, mais supposée toujours existante, est le reflet immédiat et d’une manière générale l’apparence visible de la chose en soi, donc de la volonté ; pour elle par suite, sous les conditions de l’expérience, vaut tout ce qui appartient simplement à la volonté en soi, et elle en exprime la vraie éternité sous l’image de l’immutabilité dans le temps. La nature, nous l’avons déjà dit, ne ment jamais ; aucune opinion née d’une conception purement objective de la nature et déduite avec logique ne peut être d’une fausseté absolue, mais elle aura pour plus grave défaut, en mettant les choses au pire, d’être très exclusive et incomplète. Tel est aussi sans contredit le caractère du matérialisme conséquent, celui d’Épicure, tout autant que de la doctrine opposée, l’idéalisme absolu, celui de Berkeley, par exemple, et en général de toute théorie fondamentale d’une philosophie sortie d’un juste « aperçu » et développée de bonne foi. Seulement ce ne sont là que conceptions exclusives au plus haut degré, et par suite vraies toutes à la fois, malgré leur opposition, puisque chacune d’elles l’est à un point de vue déterminé ; mais s’élève-t-on au-dessus de ce point de vue, elles n’apparaissent plus aussitôt qu’empreintes d’une vérité relative et conditionnelle. Le point de vue suprême d’où on les embrasse toutes d’un coup d’œil, d’où on les reconnaît dans leur vérité seulement relative et au delà d’une certaine limite dans leur fausseté, ce point de vue seul peut être celui de l’absolue vérité, autant qu’elle est en général accessible à notre esprit. En conséquence, et comme je l’ai montré précédemment, même dans la thèse, à vrai dire, très grossière et très ancienne aussi du matérialisme, nous voyons l’indestructibilité de notre être véritable représentée comme par l’ombre d’elle-même, par la persistance de la matière, et de même, dans la théorie déjà plus élevée du naturalisme physique absolu, par l’ubiquité et l’éternité des forces naturelles, au nombre desquelles il nous faut tout au moins compter la force vitale. Ainsi ces doctrines primitives elles-mêmes contiennent l’affirmation que, loin de subir par le fait de la mort un anéantissement absolu, l’être vivant continue à exister avec et dans l’ensemble de la nature.

Les considérations développées par nous jusqu’ici, avec les explications ultérieures qui s’y rattachaient, avaient pour point de départ